J’en avais parlé le 18 octobre dans Les grandes manoeuvres : les firmes comptables dont la réputation avait pris un mauvais coup lors de l’affaire Enron avaient décidé de se poser en parangons de vertu et avaient admonesté leurs clients de coter, quoi qu’il en coûte, leurs avoirs adossés à des prêts au logement (MBS pour prime ; ABS pour subprime) au prix du marché.
Dans le rapport qu’elles publièrent (*), ils insistèrent sur un certain nombre de points. J’en mentionne ici les principaux :
1. Qu’un marché où il existe une disparité notable entre le nombre d’acheteurs et de vendeurs potentiels (en l’occurrence bien sûr, que le nombre d’acheteurs serait très restreint), ne peut être qualifié de marché « en détresse » ou de « vente à la casse » et ses prix disqualifiés à ce titre.
2. « La commission objecte à la pratique consistant à ignorer les cotes provenant de sources extérieures pour adopter une ‘vue à long terme’ du marché (c’est–à–dire adopter la conception selon laquelle un point d’équilibre sera retrouvé et facilitera les transactions à des prix plus ‘rationnels’) ».
3. Même si un marché est considéré « inactif » du fait que seul un petit nombre de transactions s’y observe, les prix qui s’y pratiquent demeurent un meilleur indicateur que ceux qui seraient simplement calculés par un modèle à partir des « fondamentaux » (ses composantes – sur la base d’une méthode « additive » du prix).
4. Les modèles utilisés pour la valorisation doivent refléter les conditions du marché. Si un ajustement est nécessaire pour refléter correctement un élément de risque, cet ajustement doit être reflété par le prix.
5. Un ajustement reflétant la liquidité du marché peut être indispensable pour représenter correctement ses conditions.
Ce dernier point me ramène à ma discussion relative à la valuation de l’illiquidité dans le cas de la BNP Paribas dans Hystériques et hypocrites. Ce dernier point est particulièrement délicat puisqu’il révèle essentiellement que rien d’autre dans ce qu’avance le rapport ne résout réellement la question de savoir comment tenir compte de l’impact du manque de liquidité sur un marché et en particulier dans le cas extrême où l’on est conduit à s’exclamer « Pas de prix ! ». La conception additive qui sous–tend toute valuation du prix par un modèle suggère que le produit financier pourrait être alors décomposé en l’ensemble de ses composantes et celles–ci vendues séparément. Or, d’une part, la chose est rarement possible dans le cas d’un instrument financier (voir mon Trouble’s a Bubble, introducing the stock synthetic) d’autre part, on serait confronté dans certains cas à l’évidence particulièrement déplaisante qu’une composante essentielle n’a plus en réalité aucune valeur.
Voici un extrait de la discussion qui avait eu lieu le 26 avril 2007 entre les dirigeants de Countrywide et les analystes financiers qui les interrogeaient alors :
M. Orenbuch (analyste au Crédit Suisse) :
Les « seconds liens » (HELOC) subprime que vous avez décidé de conserver [en portefeuille], quand avaient-ils été consentis ? Étaient–ils relativement récents ? Et pourriez–vous expliquer […] comment vous justifiez cela, je veux dire du point de vue de la gestion de vos capitaux et s’il s’agit là d’une chose que vous envisagez encore de faire à l’occasion ?D. Sambol (Président de Countrywide):
[…] Ils représentent des prêts consentis en 2006 qui étaient restés invendus [sur le marché secondaire] et étaient toujours là au premier trimestre 2007, et nous étions particulièrement pris au collet par l’absence de liquidité et la détérioration des prix à laquelle nous assistions au premier trimestre. C’est cela qui nous poussa à les reclasser HFI {Held for Investment = conservés en portefeuille]. Cela constituait un meilleur investissement. Si nous les avions vendus au prix que le marché pratiquait alors nous aurions laissé échapper des taux qu’il est beaucoup plus raisonnable de retenir que de laisser passer. »
Le raisonnement du Président de Countrywide consistait à dire qu’il s’agissait avec ces « seconds liens » subprime de prêts assortis de taux élevés dont le prix allait certainement rebondir et qu’il valait mieux les parquer en portefeuille plutôt que de s’évertuer à vouloir les vendre et finir par se voir obligé de le faire à un prix ridiculement bas. S’il ne s’agissait pas d’une correction provisoire du prix mais d’un réajustement durable du niveau du marché – comme ce fut effectivement le cas – et vu avec le recul, la tactique s’apparentait davantage à la politique de l’autruche.
C’est à cette politique de l’autruche que s’adresse le point 2. du rapport des firmes comptables, qui ressemble fort à une réponse et à une réfutation directe du raisonnement tenu par Sambol à l’intention des actionnaires de Countrywide :
« La commission objecte à la pratique consistant à ignorer les cotes provenant de sources extérieures pour adopter une ‘vue à long terme’ du marché (c’est–à–dire adopter la conception selon laquelle un point d’équilibre sera retrouvé et facilitera les transactions à des prix plus ‘rationnels’) ».
(*) Measurements of Fair Value in Illiquid (or Less Liquid) Markets, 3 octobre 2007
Une réponse à “La politique de l’autruche”
Monsieur Jorion
Bonjour
Dans l’interview que vous accordez à la Tribune ce jour, vous évoquez à juste titre le trucage des bilans au point de saper un des fondements du capitalisme: la transparence.
Quand est-il aujourd’hui de la position des firmes comptables dont vous parlez dans le billet ci-dessus ?
La FASB demandait il y a quelques temps le retour au » marked to model » y a t-il encore une discussion sur ce sujet, ou est-ce totalement impossible, du fait que ce mode de calcul entérinerai immédiatement la faillite du système?