La revue Echanges, éditée mensuellement par l’Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG) publiera le texte qui suit dans son prochain numéro consacré à la titrisation. C’est un peu plus technique (et beaucoup plus pompeux !) que ce que je dis d’habitude ici sur la crise du subprime mais comme je sais que cela intéressera aussi certains d’entre vous…
La titrisation en tant que telle a-t-elle eu une responsabilité dans la crise du subprime et dans le tarissement du crédit qui en fut l’une de ses conséquences ? Et si non, et à l’inverse, la titrisation sort-elle indemne de ces événements où son rôle fut, à tort ou à raison, mis en cause ? Les deux questions sont excellentes et je me propose d’y répondre.
Le but premier de la titrisation est bien entendu de créer pour un ensemble de créances d’un montant relativement faible un instrument de crédit comparable à une obligation de type classique et susceptible d’être traité sur un marché secondaire fluide. La liquidité doit logiquement en découler, encore qu’en l’absence d’un marché organisé garanti par l’existence d’une chambre de compensation et fluidifié par un contingent de « contrepartistes », il puisse s’agir là avant tout d’un vœu pieux.
En l’absence de titrisation, un prêt hypothécaire individuel est destiné à rester parqué jusqu’à maturité au sein d’un portefeuille. La titrisation semblait avoir modifié définitivement la donne jusqu’à ce que la crise récente révèle que l’existence d’un marché secondaire fiable reste problématique pour l’ensemble des Residential Mortgage-Backed Securities (RMBS) auxquelles appartiennent les Mortgage-Backed Securities adossées à des crédits immobiliers « prime » réservés aux emprunteurs les plus dignes de confiance et les Asset-Backed Securities adossées à des crédits immobiliers « subprime » où sont concentrés les emprunteurs à risque.
Chaque RMBS est exposée au risque d’une double manière : d’une part, en raison de la défaillance possible de chaque emprunteur de l’un des milliers de prêts individuels reconditionnés dans le titre et, d’autre part, en raison de l’éventuel remboursement anticipé du prêt qui, s’il ne débouche pas sur une perte effective, affecte cependant le rendement du titre en raison du manque-à-gagner que représentent les flux d’intérêts qui ne seront pas perçus. La titrisation autorise en principe un fractionnement du risque entre une multitude de porteurs. Alan Greenspan, l’ancien président de la Federal Reserve, insistait également sur le fait que « le risque se retrouve désormais entre les mains de ceux qui sont le mieux à même de l’assumer ». Or, les événements de l’été 2007 ont remis en cause ces apparentes certitudes. Il est apparu en effet que, premièrement, si la titrisation permet bien en principe de redistribuer le risque, il n’est pas certain que dans les faits cette redistribution existe et que l’on n’observe pas au contraire une concentration dans un nombre limité de portefeuilles, et que deuxièmement, si le risque se retrouve bien entre les mains de ceux qui ont pris en leur âme et conscience la décision de l’assumer, il n’est nullement garanti que ceux-ci aient estimé ce risque correctement. Appartiennent sans doute à cette dernière catégorie, la totalité des investisseurs qui acquirent des Asset–Backed Securities adossées à des prêts hypothécaires subprime pour la seule raison que le coupon de ces titres était élevé, sans s’inquiéter davantage du fait que l’arbitrage du risque que représentait ce coupon élevé n’était pas nécessairement durable, n’étant pas à l’abri d’un basculement éventuel d’une situation avantageuse de surévaluation du risque en une autre de sous-évaluation. Or, l’existence d’une bulle prolongée de l’immobilier résidentiel américain devait précisément déboucher dans les derniers mois de l’année 2006 sur un tel retournement de situation.
Supposer, comme le faisait Alan Greenspan, que la capacité de la titrisation à redistribuer le risque se concrétiserait nécessairement en sa répartition optimale, révélait en réalité chez lui une bonne dose de naïveté : cela revenait en effet à imaginer que ceux qui acquièrent ces instruments à coupon élevé le gèrent nécessairement « en bon père de famille ». On aurait pu penser qu’un participant aussi averti que l’est Mr. Greenspan ne souscrirait pas à l’opinion commune qui voit dans la spéculation une disposition pathologique ne se manifestant qu’occasionnellement sur les marchés mais l’aurait considéré au contraire comme l’un de ses éléments constitutifs. C’est bien entendu la nature essentiellement spéculative de ces instruments – due à l’existence conjoncturelle d’un arbitrage possible du risque – qui devait faire qu’au lieu de se répartir de manière « statistique » entre une multitude d’investisseurs optimaux, les Asset–Backed Securities se concentreraient au contraire dans les portefeuilles en nombre restreint de ceux qui pariaient sur le fait qu’un tel arbitrage du risque se perpétuerait : les compagnies d’assurance, fonds de retraite, fonds d’investissement spéculatifs et banques étrangères.
Autre aspect, interne cette fois à la mécanique même de l’instrument de dette titrisé : la confiance mise par les « structureurs » dans leur capacité à concentrer entièrement le risque dans les certificats subordonnés pour en libérer complètement ceux qui sont définis comme prioritaires. C’est de cette confiance qu’en dérive une autre, dont elle est le corollaire : que des créances présentant des risques sérieux de défaillance pourraient cependant servir sans danger de « rembourrage » au sein de titres qui bénéficieraient eux de la meilleure notation possible. Cette confiance est fondée sur les coefficients utilisés dans les tests auxquels est soumise la structure de support du crédit de ces titres : la « cascade » qui redirige les flux de trésorerie des certificats subordonnés vers les certificats prioritaires ; ces coefficients sont censés justifiés par des considérations statistiques, telle la supposition sous-jacente à certains tests « de stress » utilisés par Standard & Poor’s, que le risque de subir une perte 4,5 fois supérieure à la perte maximum observée historiquement est quasiment nul. Or rien ne vient fonder une telle supposition sinon une mécompréhension tragique de l’inférence statistique : que les fréquences observées à partir d’une séquence arbitraire d’observations peuvent être extrapolées en probabilités alors que la nature intrinsèquement cyclique (ou en tout cas instable) du phénomène en question est avérée.
La déresponsabilisation des organismes de prêt qu’autorise la titrisation d’une RMBS a également été évoquée. La norme comptable américaine No 140 a tout spécialement été mise en cause à ce propos, elle qui autorise en effet l’enregistrement d’un gain immédiat lors de la titrisation, encourageant ainsi l’émetteur à ignorer la capacité ou non de l’emprunteur à faire face aux obligations futures afférentes à sa dette. Les organismes prêteurs relâchèrent leur vigilance dans l’attribution du crédit dans la mesure où Wall Street était toujours preneur. Ce que l’émetteur perdait de vue, en succombant à ces sirènes, c’était le fait évident que seule la qualité du produit lui garantirait à long terme la persistance d’un réel marché. Greenspan et d’autres avaient envisagé que l’investisseur-type en RMBS serait « Monsieur–tout-le-monde », la crise révélerait qu’il s’agissait le plus souvent au contraire d’un expert de la partie, prévenu des risques courus, et qui se rebifferait aussitôt que l’arbitrage du risque s’évanouirait. C’est à quoi l’on assista effectivement à la fin 2006 quand le nombre des saisies d’habitation aux États–Unis monta en flèche dans un contexte de dégonflement de la bulle immobilière, entraînant à sa suite une dégringolade du prix de l’immobilier résidentiel américain et, en conséquence une sous-évaluation de la prime de risque comprise dans le coupon.
Conclusion
Première question donc, la titrisation a-t-elle joué un rôle dans la crise du subprime et dans l’assèchement du crédit qui lui a succédé ? La réponse doit être nuancée. Les RMBS, titrisent des prêts hypothécaires dont l’une des composantes du coupon est une prime de risque censée refléter de manière adéquate le risque de défaillance que représente l’emprunteur. Si cette prime a été calculée de manière à tenir compte de l’ensemble des phases d’un cycle économique du secteur d’activité, une alternance existera nécessairement entre des périodes où un arbitrage du risque sera possible du fait que la prime de risque sera circonstanciellement surévaluée et d’autres où elle sera circonstanciellement sous–évaluée. Durant les périodes du premier type, le titre sera attractif du fait-même de cet arbitrage potentiel, alors que dans celles du second type, il ne le sera pas. Dans ce dernier cas la viabilité de l’instrument dépendra de la robustesse de sa structure interne, c’est-à-dire de l’efficacité de son mécanisme de support du crédit : de sa « cascade » redirigeant les flux, des certificats subordonnés vers les certificats prioritaires. Si cette structure devait se révéler carente, l’instrument aura perdu tout son attrait et son marché se tarira automatiquement, le cas échéant et comme on a pu le voir en août 2007, totalement. La titrisation en tant que telle ne fut donc pas en cause dans la crise du subprime mais bien la capacité des RMBS à constituer des titres attractifs pour leurs émetteurs comme pour leurs investisseurs grâce à une structuration adéquate et ceci, quel que soit le contexte économique de l’immobilier.
Seconde question, en sens inverse : les Residential Mortgage-Backed Securities et plus particulièrement cette fois les Asset-Backed Securities adossées à des prêts hypothécaires, survivront-elles à la crise qui les ébranla en 2007 ? La leçon est claire : pour que les RMBS aient un avenir, il sera nécessaire d’immuniser l’instrument contre le caractère cyclique du secteur de l’immobilier résidentiel. Les événements ont souligné que la prime de risque enchâssée dans le coupon, si elle est à même de refléter les différences individuelles entre emprunteurs quant à leur capacité à rembourser leur emprunt, est incapable de refléter l’impact sur eux des aléas d’un cycle économique complet. C’est là une tare essentielle de la notation du crédit, telle la cote FICO, appliquée aux consommateurs américains : son incapacité à évaluer le risque objectif que fait subir l’emprunteur au prêteur dans la mesure où elle agrège en une note unique la crédibilité financière d’un consommateur individuel, la bonne sante du secteur résidentiel immobilier, ainsi que celle du contexte économique en général. Si ce problème ne pouvait être résolu, une autre structure de support de crédit devrait être envisagée pour l’instrument, éventuellement entièrement externe comme dans le cas d’une assurance. La viabilité ou non des Residential Morgage-Backed Securities serait alors déterminée par la capacité des compagnies d’assurance du secteur à absorber les chocs résultant de l’alternance des phases du cycle de l’immobilier résidentiel. La manière dont ont réagi aux événements récents les compagnies américaines, telles Ambac ou MBIA qui occupent à l’heure actuelle cette niche, ne fait pas bien augurer à ce point de vue.
6 réponses à “Crise du « subprime » et titrisation”
Bonjour,
Je renforcerais dans votre commentaire, la réelle méconnaissance des investisseurs sur les fondamentaux du produit.
En effet par delà l’analyse même de ces structures (waterfall, stress test des agences, etc. etc.) les gérants n’attachent finalement que peu d’importance au sous-jacent lui-même.
Combien avant la crise avient connaissance des différentes classifications de prêts aux Etats?
Combien s’étaient attaché à comprendre la différence entre prime et subprime?
Combien connaissent réellement aujourd’hui les notions de LTV, de HEL et autres technicités de ces produits?
A mon sens, le problème principal provient de cette méconnaissance, justifiant ainsi le vent de panique des investisseurs face à la moindre remontée des taux de défaut.
On pourrait croire que cette crise leur servira de leçon et qu’à l’avenir, l’analyse de ces produits sera plus fine. Malheureusement ça ne sera pas le cas. Car outre la connaissance « des grandes lignes » aucun n’est allé « creuser » le sujet. Et aujourd’hui encore, beaucoup de gérants (au moins sur la place de Paris) ne savent même pas de quoi ils parlent, quand ils tentent d’expliquer à leurs clients la crise actuelle ……
Rassurant non ?
[…] ma méfiance croissante envers ces assureurs qui m’avait conduit le 26 septembre à conclure Crise du “subprime” et titrisation, de la manière suivante : « C’est là une tare essentielle de la notation du crédit, telle la […]
[…] eu l’occasion d’expliquer l’année dernière à l’occasion de la crise des subprimes (Crise du « subprime » et titrisation) et du tarissement du crédit (Le mécanisme de la crise du crédit) que les deux crises […]
Je pense que la source de la crise des subprimes réside dans le sous-jacent et pas dans la technique de transfert de risque, car même sans la technique de titrisation la crise aurait eu lieu, certes elle n’aurait pas eu la même dimension, mais elle était elle-même inévitable.
Question : la titrisation des créances des institutions de micro-crédit, est-ce que ce type d’opération peut mener à une crise de l’ampleur de la crise des subprimes ?
@ EL GUEDDARI ZARIAB
Avez-vous quelque idée en tête en posant la question du micro crédit ? Les grandes banques s’y mettent c’est vrai, de là qu’elles titrisent…?
Je suis évidemment, comme Attali, parfaitement en accord avec l’impérieuse obligation d’aider les plus pauvres des pauvres à s’en sortir et, dans se sens, Grameen vaut assurément son prix Nobel. Il y a bien certaines critiques contre les taux « usuraires » de certains micro crédits. Sans doute faut-il tenir compte du fait qu’un intérêt de 15 % sur 1O € c’est pas grand chose alors que 15% sur un milliard d’Euros, c’est un bon petit début.
Le sens d’un taux n’est pas le même selon la base, doubler 1 € de capital en un an, c’est pas la même chose que de doubler un capital d’un million d’Euros. Le fait que relativement au micro crédit les « frais de gestion » soient importants au regard des sommes prêtées est encore une autre question (selon une analyse diffusée sur le web, 3% du budget de Planet Finance arriverait aux demandeurs). Il me semble que si problèmes il y a, c’est sur d’autres plans. Ainsi, avec le « moment Minsky » et « les processus soumis à l’emballement » (a), Jorion rappelle comment le petit doigt entre dans l’engrenage et la propension du profit à dégénérer dans un simulacre de croissance. C’est quand même vrai que tritriser une masse de petits crédits en gros paquets à 12 %, serait malin. Par ailleurs, je traîne avec moi quelques prénotions un peu bizarres, du genre « les juifs avaient bien raison d’annuler les dettes tous les sept ans », pourtant, je ne voudrais pas en revenir à la condamnation du prêt à intérêt par l’Église catholique, car « quand même » je crois au progrès des lumières ! C’est dans ce contexte que dans une réponse postée sur ce blog (b), je me posais la question morale de l’utilisation morale du micro-crédit dans les banlieues.
Ce problème du micro-crédit me semble révélateur des difficultés que nous rencontrerions à élaborer une constitution économique. Il serait sans doute grossier de fixer, « même rationnellement », un taux maximum applicable partout. Alors, quelle serait la base analytique permettant de détermination d’un taux maximum selon les circonstances? Ai-je raison de penser qu’il faudrait reprendre les débats théologiques à propos du prêt à intérêt là où l’Église les avait laissés. Jorion, dans son bouquin en appelle à l’éthique des Pèlerins (il y a même des thèses sur ce qu’il y avait dans leur soupe à Salem je vous dis pas – lol -), de toute façon, comme la crise du subprime nous conduit à sucer des rutabagas, autant commencer de suite à nous nourrir de philosophie !
Bien à vous,
(a) Le « moment keynésien », Les processus financiers enclins à l’emballement
(b) Dirigeants de banques et analystes financiers
vous avez dit que les Asset-Backed Securities sont adossées à des crédits immobiliers « subprime » où sont concentrés les emprunteurs à risque, a ce que je sais ce terme générique, on l’utilise plutôt pour des opérations sur instrument cash (prêts à la consommation, prêts automobile, etc.).