Histoire du système bancaire du Grand-Duché de Gerolstein (I)

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Vous vous souvenez du Grand-Duché de Gerolstein, dont la Grande-Duchesse fut immortalisée par Offenbach ? Eh bien, j’ai décidé de m’intéresser à l’histoire bancaire du Gerolstein, et au cours des semaines qui viennent, je vous rapporterai différents faits que j’ai pu glaner.

La banque centrale du Gerolstein fut fondée en 1853, la Banque Commerciale du Gerolstein (BCG) existait elle depuis 1812. La monnaie officielle est le florin gerolsteinois créé en 1853 qui remplaça un ensemble de monnaies diverses. Le florin a été émis en 1853 à hauteur de 100 millions. Il n’existait bien entendu pas de monnaie électronique à l’époque et toutes les transactions se faisaient en florins : lors des règlements entre la BCG et la banque centrale, les billets se transportaient dans des valises et les pièces dans des seaux.

En 1854, 50 millions de florins étaient déposés à la BCG sur des compte-courants. La banque avait le droit de prêter l’argent sur ces comptes, ce qu’elle ne se privait pas de faire. La banque centrale du Gerolstein imposait des réserves obligatoires « fractionnaires » de 10 % et 5 millions de florins se trouvaient donc sur un compte de la BCG auprès de la banque centrale du Gerolstein.

Siegfried von Grossmacht, le Chancelier gerolsteinois, ayant voulu connaître la masse monétaire du Grand-Duché, il lui fut expliqué que M0 se montait à 105 millions de florins et M1 à 155 millions. Comme il n’y avait que 100 millions de florins en circulation, il voulut qu’on lui explique les deux sommes, ce qui fut fait lors d’une réunion houleuse présidée par Werner von Grossgeld, le gouverneur de la banque centrale.

M0 lui expliqua-t-on est constitué de la monnaie fiduciaire (billets + pièces) et des réserves sur un compte banque centrale. Les 105 millions proviennent du fait que 5 millions de florins sont comptés deux fois : une fois en tant que monnaie fiduciaire et une deuxième fois en tant que réserves sur un compte banque centrale. On a donc 95 millions comptés une seule fois, plus 5 millions comptés deux fois, ce qui fait 105 millions.

M1 lui expliqua-t-on, c’est M0 plus l’argent sur des compte-courants, soit 105 millions plus 50 millions, égale 155 millions. Ici aussi ajouta-t-on, certains florins sont comptés plusieurs fois : 50 millions sont comptés une seule fois, 45 autres millions sont comptés deux fois et 5 millions sont comptés trois fois : 50 + (45 x 2) + (5 x 3) = 155. L’explication en est la suivante : 50 millions des 100 millions de monnaie fiduciaire en circulation sont déposés à la banque, 50 autres ne le sont pas, comptons ces derniers d’abord. Parmi les 50 sur des comptes-courants, 45 sont disponibles pour être prêtés, et 5 sont en réserve à la banque centrale. Les 45 sont comptés deux fois : une fois en tant que partie des 100 millions de monnaie fiduciaire en circulation et une deuxième fois en tant que dépôt sur un compte-courant. Quant aux 5 millions en réserve sur un compte en banque centrale, ils sont comptés trois fois : une première fois en tant que monnaie fiduciaire, une deuxième fois en tant que dépôt sur un compte-courant et une troisième, en tant que réserve sur un compte en banque centrale.

« À quoi servent ces coupages de cheveux en quatre ! », s’écria von Grossmacht en colère lors de la réunion. « Ils sont cruciaux », lui répondit von Grossgeld, sans se départir de son calme, « et ceci pour la raison suivante… »

(à suivre…)

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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31 réponses à “Histoire du système bancaire du Grand-Duché de Gerolstein (I)”

  1. Avatar de TL
    TL

    @ Julien Alexandre

    Je ne me dispense pas (totalement) de rigueur, j’ai l’honnêteté de préciser que mon idée est à prendre avec des pincettes. Oublions-la si vous voulez.

    Flux brut : ce qui circulerait si les banques exigeaient totalement et en temps réel tous les paiements.
    Flux net : ce qui circule une fois la compensation effectuée, donc le solde des flux bruts.

    La partie (flux brut – flux net) correspond à quelque chose que l’on ne voit pas, puisque l’objet de la compensation est précisément d’en éviter la matérialisation. Mais conceptuellement, cela a une existence : c’est une forme de dette (brute) entre banques, tant que la compensation n’a pas eu lieu.

    Ne sombrez pas dans un descriptivisme intégriste comme les juristes qui s’accrochent à la seule forme institutionnalisée et reconnue des phénomènes. Cela n’est pas non plus sans intérêt, mais encore une fois, nous ne sommes pas nés omniscients, et le véritable chemin vers la vérité réside dans notre capacité d’abstraction.

    @ Shiva

    Très bonne question.

    Wittgenstein tentait d’établir la nature des relations entre le langage et la réalité que celui-ci cherche à exprimer (il postulait que la forme du langage devait épouser la forme du monde).
    Pour lui, la chose est le mot, et l’état de choses est la phrase.

    Mais certaines idées, et celle-là en particulier, ont une généralité bien plus grande (et qui n’obligent pas à garder son postulat idiot, que lui-même a abandonné par la suite, sous l’influence de Piero Sraffa), ainsi je pense qu’on pourrait dire de même que la chose pourrait être un atome, et l’état de choses une molécule, ou encore la chose un concept réel ou irréel, et l’état de chose un concept plus grand dans lequel ce précédent concept s’intègre.

    La vérité (en particulier mathématique) est triviale, puisqu’on part d’elle pour arriver à elle. Triviale, mais utile…

    On peut comprendre de plusieurs façons la phrase que j’ai citée, en l’occurrence voici ce qui me vient à l’esprit : constatant une chose, si l’on pense du coup que tel état de chose ne peut être, et que pourtant cet état de chose est, il faut vérifier nos informations (nos mesures de la chose et de l’état de chose en question), et éventuellement remettre en question la conception même que nous avons de ces deux (ou plus) entités.
    Mais l’interprétation est libre… c’est juste une bonne définition de la logique.

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