Ouvert aux commentaires. Je crois savoir – pour en avoir écrit et produit – ce qu’est un logiciel. Sur la partie quincaillerie d’un ordinateur je sais très peu. Si j’ai commis ici des erreurs, soyez gentil(le) de me le signaler, je corrigerai.
Je vais terminer ce compte-rendu détaillé du livre de Mark O’Connell, To Be a Machine (2017) et dont j’ai dit tout le bien que j’en pensais en mentionnant une erreur qu’il commet, due me semble-t-il au manque de familiarité – très excusable pour un spécialiste de la littérature anglaise – avec l’informatique.
Pour les six premières parties de mon compte-rendu, cliquer ici.
O’Connell écrit ainsi à propos de « la représentation techno-dualiste de nous-mêmes, comme un logiciel tournant sur la quincaillerie (hardware) de nos corps » (63), que « réside en elle un étrange paradoxe […] : son origine est dans un matérialisme absolu, dans une interprétation de l’esprit comme une propriété émergente de l’interaction entre des objets de nature physique, et cependant elle se manifeste comme la conviction que l’esprit et la matière sont séparés, ou séparables. Ce qui revient à dire que cela se manifeste comme une forme de dualisme, voire même une sorte de mysticisme » (64).
Il écrit ailleurs : « … [la métaphore de] l’esprit comme un logiciel, une application tournant sur un support fait de chair » (49).
Or si l’on suit O’Connell dans son raisonnement, il faut voir de la même manière dans le fait de distinguer dans un ordinateur, la « bécane » proprement dite des applications qui tournent sur elle, une forme de dualisme, voire même une sorte de mysticisme, ce qui est absolument injustifiable, les deux existant exactement au même titre : hardware et software, et constater leur existence ainsi que le fait que l’un est le support matériel de l’autre, ne suppose pas, comme chacun peut les constater à tout instant, ni un acte de foi, ni une prédisposition au mysticisme.
Ce que O’Connell ne saisit pas, c’est le point d’articulation entre « bécane » et « logiciel », plus que probablement faute de connaître le mécanisme qui assure leur communication dans un ordinateur, le point d’articulation entre les deux étant un ensemble d’instructions en « langage-machine », traduction sous la forme binaire d’une suite de 1 ou de 0 de ce que le programmeur veut voir effectuer par la machine (ouvrir un traitement de texte, par exemple, prêt à répondre aux entrées de l’utilisateur). La machine – et plus précisément son CPU (Central Processing Unit), unité centrale de traitement – lira cette suite de 1 et de 0 et enverra dans ses circuits des impulsions électriques de deux niveaux de charge distincts correspondant à ce 1 ou ce 0, ce qui se manifestera à l’utilisateur (sauf erreur ou « bogue » de la part du programmeur ou de la programmeuse) par un comportement de la machine en accord avec celui qui était espéré.
O’Connell trahit sa mécompréhension quand il manifeste son scepticisme à l’égard d’un rapport intitulé : « Whole Brain Emulation : A Roadmap », ce qui signifie : « reproduction globale du cerveau : une feuille de route », dont les auteurs fameux dans les milieux du transhumanisme sont Anders Sandberg et Nick Bostrom, rapport où l’on peut lire qu’« il n’est pas nécessaire de comprendre tout un système pour le reproduire [sous forme numérique] : il suffit d’une base de données contenant toute l’information pertinente relative au cerveau en question, et des facteurs dynamiques déterminant ses changements d’état d’instant en instant » (51).
Mais c’est là que réside l’écueil : si « l’information pertinente relative au cerveau » ne pose pas de problème particulier – du moins au niveau conceptuel – ce qu’ils appellent les « facteurs dynamiques déterminant ses changements d’état d’instant en instant » est beaucoup plus problématique.
Encore faudrait-il bien entendu que le cerveau contienne toute l’information dont on ait besoin, ce qui n’est pas certain vu qu’une part considérable des neurones présents dans notre corps se trouvent ailleurs que dans le cerveau (il n’est pas certain par exemple que les neurones se trouvant dans le corps ailleurs que dans le cerveau n’encryptent pas une part de mémoire considérable de ce que nous appelons notre « esprit »). Les cryogénistes qui congèlent la tête de morts-dignes-d’être-ressuscités pourraient connaître de terribles déconvenues sur ce plan-là.
Quant aux « facteurs dynamiques déterminant ses changements d’état d’instant en instant », ils pourraient bien être en nombre tout à fait considérable et il est fort possible que nous ne sachions pas pour de nombreuses années encore ni ce qu’ils sont exactement, ni quelles sont les interactions entre eux.
Quoi qu’il en soit, lisez To Be a Machine de Mark O’Connell, vous ne regretterez pas le voyage : on y parle de nous sous les deux formes sympathiques de la poussière d’étoiles et du savant fou.
FIN
Laisser un commentaire