Billet invité. Ouvert aux commentaires.
M. Hamon,
Je vous écris pour vous demander de vous rallier à la France insoumise (FI) et à la candidature de M. Mélenchon. Je sais ce qui vous oppose, mais je veux m’efforcer ici de montrer la manière dont ces obstacles peuvent être surmontés, ainsi que les bonnes raisons qui pourraient vous pousser à vous associer à la FI.
Surmonter les obstacles
D’abord, les obstacles, avec en premier lieu les obstacles de programme. Je ne connais pas votre programme par cœur, ni d’ailleurs celui de M. Mélenchon, mais il me semble que les principales différences résident :
1/dans le fait que vous proposiez le revenu universel et M. Mélenchon non, et inversement que M. Mélenchon propose la sécurité sociale intégrale et vous non. Soit en fait deux choses parfaitement compatibles sur le papier, mais certes difficilement finançables ensemble. Du coup, dans l’hypothèse d’une alliance (je brûle un peu les étapes, mais c’est pour dire que cet obstacle n’en est pas un), je vous propose d’opter pour la solution de la sécurité sociale à 100% qui est finançable d’après le chiffrage de la FI, et de demander à Mélenchon une fois élu d’organiser un référendum sur la mise en place du revenu universel.
2/ dans votre vision de l’Europe, et surtout dans votre stratégie pour négocier la remise en cause des traités avec l’Union européenne. Vous me pardonnerez mon audace, mais pour le coup c’est vous, me semble-t-il, qui êtes hors-sol ou qui promettez quelque chose que vous ne pourrez pas tenir. Étant donné la manière dont les choses se passent dans les institutions européennes, et la manière dont la Grèce a été traitée il y a maintenant bientôt deux ans, il ne faut pas se leurrer : venir à la table des négociations sans avoir pour levier de chantage le Frexit reviendra à vouloir marchander le prix d’une étagère neuve emballée dans un magasin Ikea sans autre argument que « c’est trop cher pour moi », c’est une perte de temps et d’énergie. La raison pour laquelle Tsipras a abdiqué était certes qu’il ne se sentait pas le pouvoir de faire autrement, mais aussi qu’il n’avait visiblement jamais envisagé sérieusement cette possibilité d’un Grexit. Vouloir un plan B, c’est donc la meilleure manière de faire en sorte que le plan A réussisse. Et même si en dernier ressort ce plan A ne réussissait pas, je vous pose une question : êtes-vous d’accord avec la suite hiérarchique Europe démocratique > démocratie sans Europe > Europe sans démocratie ? Si par hasard vous étiez plutôt pour la hiérarchie Europe démocratique > Europe sans démocratie > démocratie sans Europe, dites-le clairement à vos électeurs potentiels, et je peux vous assurer qu’une bonne partie des Français qui tiennent à leur souveraineté politique, que ce soit au niveau national ou européen, ne votera pas pour vous.
Il existe bien sûr d’autres points sur lesquels votre programme ne s’accorde pas avec celui de Mélenchon, mais ne soyons pas hypocrites : vos deux programmes ne se ressembleraient pas tant, il n’y aurait pas autant d’initiatives autour de vous, dont la mienne, pour que vous alliez vos deux noms pour l’élection présidentielle.
Un obstacle de légitimité, ensuite : vous avez été désigné comme candidat à l’issue d’une primaire du PS et de ses alliés, et ne pouvez bien sûr faire comme si ce vote n’avait pas eu lieu, et tenir les électeurs qui ont voté pour vous pour quantité négligeable. Il n’est sans doute pas besoin de vous rappeler qu’une partie plus ou moins importante des gens qui ont voté pour vous à cette primaire l’ont fait pour dégager Valls plutôt que par adhésion pleine et entière à votre projet. J’ai même eu vent de gens de droite qui sont allés voter Valls pour éviter votre élection, c’est dire à quel point le processus de la primaire est faussé… Mais ce n’est pas là le plus important, sans doute : votre légitimité tient en majeure partie à ce vote, et il est juste que vous respectiez cela. Eh bien c’est très simple : organisez un vote en ligne à destination des « sympathisants de gauche », de la même manière qu’EELV avait organisé un vote en ligne pour ses primaires, pour savoir si vous devez ou non rejoindre les rangs de la FI. Il y en a pour une semaine ou une dizaine de jours pour organiser un tel vote électronique, le premier tour est dans un mois, c’est tout à fait jouable à condition que vous vous y preniez maintenant et non dans deux semaines.
Une seconde partie de votre légitimité en tant que candidat vient d’autre part du fait que vous ayez été reconnu candidat par un certain nombre d’appareils politiques, dont le PS, le PRG et EELV. Même problème, même solution : le vote démocratique des Français, qui doit primer sur les accords d’appareils. Avec néanmoins le cas épineux des accords d’appareils, notamment en ce qui concerne les candidatures aux législatives… c’est un cas épineux sur lequel nous reviendrons ci-dessous.
Quelques bonnes raisons de vous rallier à la FI
– La première bonne raison pour laquelle il faut que vous renonciez à votre candidature est, me semble-t-il, parce que vous tenez à vos idées ou à votre programme. En effet, si d’aventure vous étiez élu, comment mettre en application ce dernier, sinon avec une majorité parlementaire, et comment mettre en place une majorité parlementaire en accord avec vos idées si vous devez composer avec la droite du PS, voire avec les macronistes, comme M. Cambadélis semble vouloir en indiquer la direction ? La question vous a été posée maintes fois, vous avez évité d’y répondre, il serait temps d’y réfléchir si vous ne voulez pas à cause de cela renoncer à la mise en application de votre programme. On sait que le président est tout-puissant dans la Ve République, mais pas à ce point. Vous êtes pieds et poings liés au PS, la débandade vers Macron continue et personne ne siffle la fin de la récréation : comment voulez-vous avoir une politique de long terme dans un cadre pareil ? À l’inverse, la FI s’est dotée d’une charte qui oblige les députés qui la représentent à voter en accord avec son programme, et à en référer à la FI pour tous les points qui seraient en dehors du programme. Bien des élus, notamment PCF, ont pesté contre l’idée de cette bride mise à leur liberté parlementaire, mais en même temps, quoi de plus démocratique que les élus aient à rendre des comptes à leurs électeurs ? Si vous êtes d’accord avec l’avancée démocratique que représenterait cette charte, rejoignez la FI et faites-la signer à vos candidats aux législatives.
– La deuxième raison tient au fait de la remise en cause de la puissance des partis et de la légitimité de leurs accords électoraux. Beaucoup d’électeurs ont peu apprécié vos accords sur un coin de table avec un lot d’élus EELV, et souhaiteraient à bon droit que ce genre de pratiques disparaisse. La FI n’est pas un parti, ni une agrégation de partis comme l’était le Front de gauche, mais un mouvement hors-partis qui se reconnaît dans une volonté commune de changer les règles de la démocratie – qu’elle partage avec le Parti pirate par exemple – ainsi que dans un certain nombre de points politiques forts, avec lesquels il me semble que vous êtes en grande partie d’accord : une France pacifiste, écologiste, et socialiste (au sens premier et historique du terme, vous l’aurez compris, pas au sens solférinien). Dans ce cadre, rejoindre la FI ne signifierait pas refaire un énième accord électoral entre partis, mais faire en sorte qu’EELV, le PS et le PRG contribuent de l’intérieur à ce mouvement, et participent à sa construction, sa pérennisation, son éventuelle inflexion. Le parti pris économique très sage de la FI, opter pour une relance keynésienne et non pour une révolution d’inspiration marxiste, rend d’ailleurs compatible l’alliance entre la FI et les partis qui vous soutiennent. Bien des réformes plus radicales et pourtant tout à fait souhaitables (interdire purement et simplement la spéculation financière, par exemple) n’y sont pas revendiquées, du moins pas dans l’état actuel des choses (il faut parvenir à se faire élire !), ce qui rend possible me semble-t-il une convergence de vues entre vos deux états-majors. Il faut faire en sorte que pour le prochain débat télévisé Jacques Généreux puisse se retrouver aux côtés de Thomas Piketty plutôt qu’en face de lui.
– Il ne s’agit pas de vous soumettre à Jean-Luc Mélenchon, mais de vous soumettre à la FI, ce qui n’est pas exactement la même chose. De ce point de vue, il appartiendrait de savoir si, à la FI, on accepterait votre ralliement, et si oui à quelles conditions. Il est encore une fois possible d’organiser un vote électronique à ce sujet, la plateforme électronique de la FI étant entre autres prévue pour ça. De ce point de vue, on pourrait poser trois questions aux signataires de la FI : 1/ En tant qu’insoumis, acceptez-vous le ralliement de Benoit Hamon à la candidature portée par la France insoumise ? 2/ (si réponse oui à 1/) Souhaitez-vous que le candidat de la France insoumise à l’élection présidentielle soit a. Jean-Luc Mélenchon, b. Benoit Hamon ? 3/ (si réponse a. à 2/, et inversement si réponse b.) Souhaitez-vous que Benoit Hamon soit le Premier ministre de Jean-Luc Mélenchon ? Comprenez-moi bien : je ne me fais pas d’illusions sur l’issue d’un tel vote, et il est donc fort probable que ce soit Jean-Luc Mélenchon qui sorte candidat d’une telle consultation. Mais en même temps, cela serait la seule manière d’asseoir votre légitimité au sein de la FI pour ensuite y peser, et une manière que JLM ne pourrait pas refuser s’il dit tenir à la démocratie au sein de la FI. Mais encore une fois, il faut faire vite, il ne reste plus qu’un petit mois avant le premier tour.
– Je sais tout à fait que votre maintien n’est pas une question d’égo mais de liens à un corps politique (les électeurs de la primaire) et des partis auxquels vous êtes redevable de votre position de candidat. Mais d’une part cela n’est pas nécessairement un obstacle (voir ci-dessus), et d’autre part ce sont ces liens, et notamment les liens au PS, qui entraveront votre action une fois élu. Et rendront inapplicable votre programme, ce qui désenchantera encore une fois l’électorat vis-à-vis de « la gauche qui ment », et qui participera une fois de plus à la montée du populisme de droite. Contre cela, M. Mélenchon a décidé de se présenter hors partis, de manière à n’être lié à rien d’autre qu’à un programme élaboré de manière collective par la FI. C’est une force qui, une fois élu, lui rendra possible une complète liberté dans l’application du dit programme, mais aussi une faiblesse qui rendra possible une éventuelle gestion autoritaire du pouvoir. Comme le dit Frédéric Lordon, il est possible que Jean-Luc Mélenchon prenne ses aises au sein de la Ve République une fois élu, et si la FI lui fait globalement confiance, il n’est en revanche pas question de lui signer un chèque en blanc. Nous avons donc besoin de vous au sein de la FI pour y peser, parmi d’autres, et faire en sorte que, passée l’élection, la volonté populaire soit bien respectée. Votre voix y sera d’autant plus respectée que vous vous soumettrez non à la volonté de M. Mélenchon, mais à celle de la FI qu’il a en grande partie mise en place. Comprenez-moi bien : il ne s’agit pas, en ralliant la FI, d’y apporter une voix de défiance systématique ou de « fronde », mais au contraire d’enthousiasme vigilant pour un renouvellement des pratiques démocratiques.
– Vous dites que vous occupez une position plus centrale que M. Mélenchon à gauche, ce qui est sans doute vrai en ce qui concerne stricto sensu l’échiquier politique : vous êtes plus « modéré » et « réformiste », ou en tout cas réputé tel, que votre concurrent actuel de la FI. Mais le problème est que les choses ne se posent plus en ces termes. Les électeurs vont voter en 2017, à gauche, non pour un candidat qui pourrait « rassembler au-delà de son parti » (ce que par ailleurs M. Mélenchon fait très bien aussi à sa manière) et qui occuperait une « position centrale à gauche », mais pour un candidat qui pourra faire émerger une véritable politique alternative. Soit très rapidement : les électeurs ne sont pas tant à la recherche de quelqu’un qui soit capable de faire des compromis pour gouverner que de quelqu’un qui puisse proposer un autre programme que celui de la social-démocratie et de la droite libérale. Vous pourriez peut-être être ce candidat, mais pour le coup, en étant le candidat du PS, vous n’êtes pas du tout le mieux placé.
– Je ne reprendrai pas tous les arguments du « faire gagner la gauche », parce que ça pourrait équivaloir ou recouper celui du vote utile que je ne partage pas, de même que vous et M. Mélenchon. Je suis pour un vote d’adhésion, et c’est paradoxalement pourquoi je vous demande de rejoindre la FI. M. Mélenchon a raison de rappeler qu’une très grande partie des électeurs ne savent pas pour qui ils vont voter : facilitez-leur la tâche, et faites en sorte qu’il n’y ait pas deux bulletins de vote pour des programmes aussi proches. Beaucoup de gens autour de moi ne savent pas encore pour qui ils vont voter entre vous ou M. Mélenchon, faites en sorte de leur éviter ce choix cornélien, qui est décourageant quand on connaît la proximité de vos programmes, et sinon suicidaire du moins extrêmement risqué du point de vue électoral. Certes personne ne sait aujourd’hui qui sera au second tour, mais même sans considérer les sondages, il est évident qu’il vaut mieux vous allier face à la droite et au mirage macronien plutôt que de continuer chacun de votre côté et risquer un partage des voix. Les pourcentages électoraux ne s’additionnent pas, on le sait, et si vous vous alliez à M. Mélenchon cela ne vous assurerait pas d’avoir 12%+12% = 24%. Mais ce coup de théâtre d’une alliance, qui signifierait à la fois l’éclatement du PS (qui n’en finit pas d’agonir ces dernières semaines) et une recomposition des candidatures comme des accords électoraux, que ce soit pour la présidentielle ou pour les législatives qui suivront, pourrait paradoxalement être le coup médiatique qui assure à la gauche une victoire collective.
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En conclusion, je ne vous demande pas de vous allier sur n’importe quoi, juste pour vous allier, sans considération pour les programmes. C’est pourquoi je vous propose d’endosser l’intégralité du programme de la FI, ce qui certes représente un compromis de votre part, mais qui pourra être équilibré en demandant en échange des compromis de la part de la FI :
1/ lui demander, dans les conditions évoquées ci-dessus, s’il souhaite que ce soit vous ou M. Mélenchon qui soient respectivement président et Premier ministre, ou l’inverse,
2/ demander une remise à plat des accords électoraux des législatives pour l’ensemble des acteurs concernés (PS – ou ce qu’il en reste – , PRG, EELV, PG, PCF, Ensemble…),
3/ demander la tenue d’un référendum, une fois passée l’élection présidentielle, sur la question du revenu universel.
Et je suis sûr que vous pouvez poser d’autres conditions auxquelles je ne pense pas, mais je vous fais confiance pour les trouver, à condition qu’elles respectent la volonté démocratique à l’intérieur comme à l’extérieur de la FI.
J’espère de tout cœur vous avoir convaincu que je soutenais sur le principe votre candidature, mais que si vous ne vous alliez pas à M. Mélenchon, ce sera lui qui aura ma voix, d’une part parce que son programme me semble plus abouti et plus applicable que le vôtre, mais surtout d’autre part parce que la situation politique dans laquelle vous êtes est d’une complexité telle qu’elle me semble incapacitante. Aussi je vous invite, tel Alexandre, à trancher le nœud gordien. Trancher ce nœud signifierait probablement l’éclatement du PS, mais toute chose, même les institutions, a une mort. Essayer de démêler les fils dans lesquels votre candidature est empêtrée est trop long. L’urgence écologique, diplomatique et sociale n’attend pas. Des gens meurent dans la rue, il y a la guerre en Syrie, au Yémen et en Lybie, les températures montent, nous n’attendrons pas que le PS ait fini de se démembrer pour tenter de prendre à bras le corps ces problèmes. Aussi, si vous ne voulez pas que votre « futur désirable » rencontre le même naufrage que le « désir d’avenir » de Ségolène Royal en son temps, je vous en conjure, écoutez les demandes des électeurs plutôt que les conseils vagues et creux des communicants.
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