Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Je voudrais apporter un petit témoignage sur la réalisation d’un projet d’hôpital réalisé en matériaux locaux en Mauritanie, à laquelle j’ai pris part entre 1988 et 1991. L’idée fait suite à une vidéo récente de Jean-Luc Mélenchon, où il parle de la filière de la construction écologique en terre, comme un élément de son programme. Il est intéressant de voir qu’il y a 30 ans, on expérimentait et développait des projets de construction en terre, notamment dans les pays dits « en voie de développement », et qu’aujourd’hui cette question revient un petit peu à l’ordre du jour.
Ce projet, dans la lignée de plusieurs projets de construction à cette époque, développait une certaine philosophie de la construction et de projets dits de « développement intégré », recherchant la valorisation des ressources locales : matériaux, technologie et main d’œuvre. Initié en 1981 et mis en œuvre par une ONG connue à cette époque dans ce secteur, l’ADAUA (Association pour le Développement d’une Architecture et d’un Urbanisme naturel Africain), le projet avait été conçu et réalisé dans une région sahélienne au sud de la Mauritanie à Kaedi, où la culture du riz est fortement développée (via, d’ailleurs, des financements européens), utilisant l’irrigation permise par le fleuve Sénégal. La construction utilisait la brique cuite à la balle de riz. Le bâtiment avait été construit suivant une technique de coupoles édifiées sans coffrage bois (le bois étant rare et onéreux, essentiellement importé), s’inspirant ainsi d’une technique ancestrale, remise à jour par le célèbre architecte égyptien Hassan Fathy à New-Gourna près du Caire. La main d’œuvre et les approvisionnements de chantier provenaient essentiellement de la région. Bref, ce projet était dans la lignée d’un modèle de développement qu’on appellerait aujourd’hui « durable ». La conception fonctionnelle de l’architecture voulait répondre à des conditions locales de mode de vie : les malades étaient pris en charge par les familles accompagnantes (pour la nourriture et la toilette en particulier). Toutes les chambres d’hôpital donnaient sur l’extérieur. Aux abords du bâtiment furent construits de larges abris pour les visiteurs. Des toilettes extérieures avaient été également réalisées aux abords du bâtiment, alimentées en eau à partir d’un château d’eau, lui-même alimenté au moyen d’une éolienne. Ainsi, l’ensemble du projet était pensé dans l’optique d’une utilisation maximale des ressources endogènes. Bref, ce projet fut réalisé avec succès (l’hôpital mis en service en 1991). Mais certaines péripéties firent que l’ADAUA fut dissoute et ne réalisa donc plus de nouveaux projets.
Depuis j’ai pu observer que ce type de projet n’a plus été soutenu par les politiques publiques et les bailleurs de fonds. Un virage « libéral » réorienta les projets de construction vers des filières dites « conventionnelles », utilisant essentiellement la construction avec des parpaings de ciment, des toitures en tôle ondulée ou du béton armé (le ciment étant importé en Mauritanie), qui constituent aujourd’hui la quasi-totalité de la construction des villes, du moins en Afrique de l’ouest, à ma connaissance.
Je me souviens, à ce propos, d’une étude portant sur l’économie de la construction en Mauritanie, qui comparait en détail les différentes filières de la construction dans le pays. Elle concluait que le prix de revient de la filière de construction en matériaux locaux était sensiblement comparable à celle des matériaux dits « conventionnels » de type parpaing ciment ; mais la structure des coûts différaient beaucoup, et en particulier la valeur ajoutée locale des constructions en matériaux locaux était beaucoup plus importante. Grosse différence ! Pour faire vite, je dirais que les politiques dites « libérales » ont tourné le dos aux filières locales, pour, sous couvert d’efficacité, privilégier les techniques importées et exogènes. Et pourtant, je peux témoigner qu’un projet comme l’hôpital de Kaedi a eu un impact très bénéfique pour l’économie locale durant sa réalisation, car une portion très importante de l’argent de la réalisation était dépensé sur place, et avec un impact plus important sur l’activité de la ville. On pourrait ajouter à la considération purement financière, celle de faire appel à la main d’œuvre locale et donc, de créer des emplois. Enfin ce projet faisait d’une certaine manière, la fierté des habitants, beaucoup plus que si le projet avait été en quelque sorte entièrement importé.
A travers cet exemple, je voulais illustrer quelque chose que je trouve significatif de la période actuelle : le modèle dit « néolibéral » semble de plus en plus montrer ses limites et poser des problèmes, en particulier du fait des enjeux environnementaux, mais aussi économiques, sociaux et culturels. Et il me semble que cela illustre deux modèles économiques : le modèle « libéral » semble avoir totalement occulté la notion de structure de coût, tant interne qu’externe. Le « prix du marché » est devenu le seul critère valable, et a effacé toutes les autres dimensions telles que le bénéfice pour l’économie locale, la qualité environnementale, sociale ou culturelle.
A quelles conditions le redéveloppement de filières locales aujourd’hui, dans un système économique où le prix concurrentiel est devenu le seul critère, serait réalisable ? Je laisse à la réflexion….
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