Les bases biologiques de la morale ou de l’intérêt de l’altruisme chez les primates sociaux, par Roberto Boulant

Billet invité

Une théorie scientifique se doit d’être explicative mais également prédictive. Et comme toute construction intellectuelle organisée en système, elle doit pouvoir se confronter à de nouvelles observations afin d’être confortée, précisée, ou même à l’occasion… invalidée ! Ainsi en va-t-il des cathédrales intellectuelles, comme le modèle standard en physique des particules par exemple, que théoriciens et expérimentateurs partout sur la planète s’acharnent à vouloir dynamiter (las, en vain jusqu’à présent).

Si nous faisons notre la saine devise « le dogme, au marteau-pilon tu attaqueras », alors il est clair que la théorie économique ‘mainstream’ – celle de M. Tirole et du Prix de la Banque de Suède – ne rentre pas vraiment dans le cadre de la science, puisqu’elle n’admet aucune critique. Elle s’insère par contre parfaitement dans le cadre des croyances.

Tout cela serait donc tout à fait clair, s’il n’y avait que les sciences physico-mathématiques opposées aux pseudo-sciences.

Pourtant, sans tomber dans de dévalorisants préjugés opposant les nobles sciences ‘dures’ aux sciences ‘molles’ jugées moins authentiques, les sciences humaines et sociales, par la formidable complexité et diversité des sujets étudiés, nous offrent souvent des théories dont les principes et hypothèses peuvent être débattus à l’infini, car non réductibles par le formalisme mathématique.

C’est le cas pour l’anthropologie physique, qui étudie les groupes humains ainsi que les bases biologiques de leur comportement. Or, primate parmi les primates (et d’une branche en voie d’extinction, puisque depuis la disparition de l’Homme de Neandertal, il en est le seul représentant), il doit être possible de repérer les prémisses des comportements moraux de l’homme chez d’autres espèces d’hominoïdes. Quitte ensuite à devoir débattre – longuement– faute de formalisme mathématique permettant de trancher définitivement.

Essayons tout de même.

Beaucoup de chercheurs en biologie de l’évolution pensent avoir démontré les bases biologiques de la morale chez homo sapiens. En tentant de modéliser le calcul coût/bénéfice d’une action, ils cherchent à prouver que l’altruisme est finalement la solution la moins coûteuse, puisqu’il permet de s’insérer dans un groupe qui lui seul permettra de survivre et de se reproduire.

Et chez les primates sociaux, la force brute, la ruse, l’intelligence manœuvrière, l’empathie et l’art de nouer des alliances – bref, toute la palette des comportements politiques – sont utilisés communément. Ce qui implique des sociétés régulées par le sexe et/ou par la baffe (voire le meurtre), avec comme limite acceptable aux comportements extrêmes, l’intérêt supérieur du groupe. Des sociétés qui reposent également sur un minimum d’équité où même les plus forts ont intérêt au partage, ne serait-ce que pour maintenir leur position. Ce fait politique (au sens de l’organisation permettant l’exercice du pouvoir) explique pourquoi dans une société aussi violente que celle des chimpanzés, ce sont souvent des vieilles femelles, beaucoup plus faibles physiquement que les jeunes mâles, qui dirigent le groupe. Elles allient une expérience précieuse à la survie de tous à une grande capacité à nouer des alliances, tout en sachant maintenir le dissensus à un niveau acceptable.

Mais s’il n’existe pas de différences comportementales fondamentales entre l’animal et l’homme, nous avons cependant la possibilité de partager des constructions mentales beaucoup plus élaborées. Sans doute sont-elles apparues et finalement sélectionnées par l’évolution pour l’énorme avantage qu’elles représentent (le partage d’un même univers mental sur l’habitus des différentes proies, et sur les actions coordonnées qu’il convient d’appliquer pour aller à leur contact en se servant de l’environnement immédiat).

Cependant, toutes les armes étant à double tranchant, il nous est possible également de créer des univers mentaux éloignés de la réalité, voire totalement déconnectés, comme le démontrent les idéologies mortifères passées ou présentes.

Dans nos sociétés ‘modernes’ immensément complexes et peuplées, il est bien plus facile de tricher (voir d’opter pour un comportement sociopathe), que dans un clan de quelques dizaines d’individus où chacun agit sous le regard de tous. Il semble même, que plus vous êtes riche moins vous êtes moral ! Comme tendraient à le démontrer les expériences du professeur Paul Piff de l’université de Berkeley, qui mettent en évidence une plus grande cupidité et un comportement moins respectueux des règles pour les catégories à hauts revenus.

Et de fait, les classes les plus favorisées (les 0,1% et leurs affidés du 1%) peuvent désormais partager un même univers mental, ainsi que les artefacts qui vont avec (‘marchés’, havres fiscaux, etc). Ce faisant, ils inversent les valeurs ; les bases biologiques de nos comportements comme l’altruisme, la morale ou la simple décence – toutes choses héritées de l’état de nature – ne leur sont plus nécessaires. Pire, ces bases deviennent dans leur univers mental, des faiblesses empêchant une prédation sans limites. Loin des discours de façade, ne sont-ils pas les vrais maîtres du monde ?

Vis-à-vis de Dame Nature (qu’on me pardonne cette notion panthéiste, c’est pour l’exemple), la réponse est bien entendu : non, pas vraiment !

De légères variations dans la composition de notre gaz atmosphérique ou dans les paramètres orbitaux de notre planète, et les dits maîtres du monde s’en retournent au néant. La vie quant à elle repartira sous d’autres formes. Et qui sait si dans quelques millions d’années, les restes fossilisés d’un gros primate à toison orangée ne seront pas exposés dans quelques musées, au milieu d’autres lignées à jamais disparues. On a la gloire posthume que l’on peut…

Mais prendre seule en compte la position instable de l’espèce au sommet de la pyramide écosystémique ne suffit pas. Il faut également faire avec le monde façonné par l’univers mental délirant des 0,1%, et avec les réactions que cela provoque, pour tenter de deviner le futur vers lequel nous nous acheminons.

Observez ce petit singe et sa réaction devant l’injustice qui lui est faite. Il trépigne, frappe du poing, saute en criant dans sa cage, et lance des projectiles sur l’expérimentateur. Pas content, mais alors pas du tout ! Sa réaction viscérale fait sourire, quel beau pétage de plombs !

Sauf que.

Si les théories succinctement décrites supra sont exactes, le pétage de plombs collectif est la seule issue à ce monde néolibéral. Un risque très réel de voir réapparaitre le vieil univers mental de violences rationalisées et son cortège d’horreurs (celui qui sévit actuellement en Syrie par exemple, mais au cube).

Alors saurons-nous nous montrer plus intelligents que ce petit singe ? Sommes-nous, oui ou non, capables de créer une société en adéquation avec les fondements biologiques de notre morale ? La question est posée, et il en va probablement de notre survie.

Quant à moi, je me souviens que le premier américain dans l’espace – avant Alan Shepard et John Glenn – s’appelait Ham. Voilà pourquoi je ne serais pas traumatisé outre mesure si le 20 janvier prochain, à la place d’un exemplaire d’homo « sapiens », c’était une vieille femelle chimpanzé qui était intronisée à la Maison Blanche.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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