Billet invité.
Demain mardi, Trump pourrait remporter l’élection présidentielle américaine et une nouvelle fois, ce sera la surprise : ce cauchemar politique était-il prévisible ?
Et même si Hillary Clinton l’emportait – ce que nous sommes forcés de souhaiter – la question resterait de savoir comment un tel scénario a été possible, avec un choix réduit à la candidate d’un système oligarchique épuisé [1] et à un affreux démagogue stupide, raciste et sexiste ?
Il est urgent de considérer la Présidentielle française en tenant compte de ce qui sera un précédent. Est-il inévitable que nous subissions un second tour qui départagera Mme Le Pen d’un candidat de la Droite dure et revancharde inspirée uniquement par une doxa économiste qui a failli ?
Je voudrais dès lors m’adresser aux hommes et femmes politiques qui « candidatent » à Gauche.
Dans notre démocratie, il y a deux tendances : la Gauche et la Droite. Il y a des gens qui votent à Gauche et d’autres à Droite, qui peuvent changer et évoluer. Une discussion sans fin a commencé dès le début sur les manières de se positionner sur cette échelle virtuelle qui fut définie à la Révolution française.
En excluant les politiciens stipendiés ou les adeptes féroces de l’ultralibéralisme, on peut s’accorder sur des marqueurs. L’un d’eux, fondamental, est celui concernant le rôle des citoyens et comment ils agissent dans la société. Tendanciellement quelqu’un de Droite mettra plutôt en avant l’individu (la liberté d’entreprendre…) et quelqu’un de Gauche, plutôt la collectivité (l’État-providence, les solidarités…). Le premier dira péjorativement du second qu’il est collectiviste ; le second traitera le premier d’individualiste. Chacun balancera parfois entre ces tendances légitimes dans un débat démocratique, car nos affects sont également contradictoires.
À Droite, des candidats clonés et clownesques rivalisent sur le nombre de fonctionnaires à supprimer, l’âge de la retraite ou les coupes claires dans les services publics – sans jamais évoquer des questions cruciales comme l’écologie. Ils ont choisi des Primaires plutôt que de tirer le candidat à la courte-paille ou le jouer au poker. Bon, ça se comprend : ce sont des Individus avec leurs destinées incomparables ! Ils sont cohérents. Mais il est choquant que des gens se réclamant de la Gauche, et qui devraient donc avoir comme ligne de conduite la primauté de la solidarité et de l’action collective sur les égoïsmes individuels, aient un comportement politiquement suicidaire et moralement indigne, nous conduisant droit dans le mur.
Car les candidats à Gauche se bousculent au portillon ! Inutile de revenir sur l’absurdité des deux candidats plus ou moins trotskistes – on est habitué à ce ridicule qui visiblement ne tue pas –, mais pourquoi toutes ces personnes, souvent très honorables et respectables, veulent-elles absolument être toutes présentes : de Jean-Luc Mélenchon à Arnaud Montebourg en passant par Benoît Hamon, Gérard Filoche, Marie-Noëlle Lienemann, etc. Et je n’évoque même pas les politiciens de la « Droite complexée » (selon la formule de Frédéric Lordon) comme MM. Valls ou Macron … Mais enfin, comment peut-on se dire de Gauche et suivre ces basses tactiques qui nous conduiront à un second tour sans représentant des « collectivistes », du peuple de Gauche, alors que la situation est plus que grave, qu’elle est en réalité tragique ? Leur est-il donc impossible de se réunir autour d’une table pour décider qui d’entre eux aurait les meilleures chances (et surtout d’éviter cette absurdité des Primaires [2] où se font jour les plus mesquines rivalités arbitrées par des sondages), et ensuite, avec conviction, soutenir le mieux placé ?
Prenons par exemple, MM. Hamon et Montebourg : ont-ils les mêmes différends irréconciliables que Mme Arthaud et M. Poutou (on rigole) ? Dans cette perspective, que peut apporter de plus M. Hamon par rapport à M. Montebourg et réciproquement ? Ou M. Mélenchon par rapport à eux et vice-versa ? Ou le candidat d’EELV ? La solution optimale est que ces candidats à la candidature de la Gauche se rassemblent autour de l’un d’entre eux mais il serait cruel d’évoquer leur incapacité totale à le faire. Au lendemain de l’élection de Mme Le Pen, ils nous diront, contrits : « Ah zut ! Comme ce désastre est bizarre ! Les Français sont des cons ! Comment cela a-t-il pu se produire ? … » Et puis, même si c’est M. Juppé, Sarkozy ou Fillon (ou autre) qui gagne, comment vont-ils expliquer à leurs électeurs de Gauche et à tous les Français, les attaques frontales contre tous nos acquis sociaux que ces has-been bornés vont s’empresser d’opérer au nom des inepties de la compétitivité, aggravant les fractures sociales, dans leur lutte implacable contre l’« assistanat » mais pour la réduction des impôts des plus riches, pour le tout-sécuritaire ?
La Bible nous offre une histoire connue qui pourrait servir de parabole : le jugement de Salomon. Rappelons que la mère (et peu importe qu’elle soit biologique ou non dans l’histoire) reconnue comme telle par le roi est celle qui est profondément animée de l’amour maternel (peu importe la définition ou l’existence dudit amour) : elle préfère sacrifier la possession d’un bébé (théoriquement un demi-bébé !) à la vie de ce bébé. Son affect maternel envers l’enfant dépasse son affect égocentrique et possessif. La morale de cette histoire vaut pour ces politiciens professionnels qui osent vouloir nous représenter à Gauche : qu’ils sacrifient leur Ego et leurs minables calculs (se faire rembourser les frais de campagne ; passer en pourcentage devant le PS… par exemple) ; qu’ils agissent enfin immédiatement pour une seule candidature d’union. On m’objectera que c’est un rêve naïf déconnecté de la dure réalité du terrain… politique et boueux. Mais il y eut des moments où devant les défis, des hommes ont su rivaliser dans l’altruisme : pensons à ces aristocrates durant la Nuit du 4 août, ou à l’union des Résistants durant la Deuxième guerre mondiale, ou même avant, en 1936, dans le combat antifasciste.
Dans quelques mois nous allons vivre un moment décisif et la Gauche court le très grand risque de ne pas être au second tour de la Présidentielle de 2017. Certains auront cru préparer 2022, mais nous auront englué en fait dans leurs vaines et déplorables tambouilles politiciennes et se retrouveront tout droit dans les poubelles de l’Histoire (si bien remplies pourtant déjà). Ils auront eu, il est vrai, leur petite heure de gloire : ils seront passés à la télé ! Que demandent-ils de plus ?
Les citoyens français sont exaspérés par leur « classe » politique. Ses membres, en général dévoués et qualifiés, vivent dans une corporation verrouillée et coupée du reste de la société. La solution optimale pour la Gauche serait que ses candidats à la candidature s’unissent autour d’une personnalité compétente et nouvelle. Mais qui aura, parmi les aventuriers au petit pied qui se bousculent au portillon, la grandeur de se « sacrifier » politiquement pour faire gagner son camp, sauver notre démocratie, assurer notre avenir commun ? Esprit d’un front uni, esprit d’un Front populaire, où es-tu ?
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[1] Contre Bernie Sanders, elle avait été prévenue des questions à l’avance lors des débats des Primaires démocrates.
[2] La leçon des Primaires à gauche : M. Strauss-Kahn était quasi-désigné, sondages aidant, et « accidentellement » on a eu M. Hollande. Quel merveilleux résultat ! Quel choix !
@Pascal (suite) Mon intérêt pour la renormalisation est venu de la lecture d’un début d’article d’Alain Connes*, où le « moi »…