Si l’on jette un regard en arrière sur la période qui s’étend du début de la crise des subprimes à aujourd’hui, et que l’on s’efforce d’assigner des responsabilités pour les misères qui continuent d’être les nôtres, on s’étonne de voir apparaître, toujours plus clairement, non pas un être humain, mais un produit financier dérivé : le Credit-default swap ou CDS.
La tendance globale a été soit de charger les produits dérivés de tous les maux, le milliardaire américain Warren Buffett a parlé ainsi à leur propos d’« armes de destruction massive », soit de les exonérer en bloc en affirmant que comme toute innovation financière, ils jouent un rôle bénéfique en favorisant la « complétude » des marchés, c’est à dire la minimisation des possibilités d’arbitrage entre écarts de prix apparus arbitrairement ici et là.
Le dossier à charge du CDS est en réalité accablant.
Le CDS permet de s’assurer contre les pertes subies sur un prêt : non-versement des intérêts ou non-remboursement du principal. Ses concepteurs ont cependant cru bon d’en faire également un outil spéculatif permettant de s’assurer contre un risque auquel on n’est pas véritablement exposé, d’où le surnom du CDS : « s’assurer sur la voiture du voisin ». On parle alors de « position nue sur CDS ».
Qu’on juge du bilan du CDS.
1° L’indice ABX joua un rôle déterminant dans le déclenchement de la crise des subprimes dont il servit ensuite de pouls. Il s’agissait d’un CDS portant sur un panier de vingt titres adossés à des prêts subprimes.
2° En 2010, puis en 2012, le CDS joua un rôle déterminant dans la crise de la zone euro en étant utilisé comme un instrument de mesure (fantaisiste, comme on le verra) du risque de défaut de la Grèce.
3° D’une manière générale depuis 2007, le CDS a protégé contre tout sinistre les détenteurs d’obligations, (directement ou par le biais d’une assurance-vie), l’autre partie de la population subissant de plein fouet les effets de la crise en tant que contribuables ou en tant que salariés victime de la récession.
Durant les phases de crises aiguës, le CDS a été l’objet de toutes les suspicions, ont été ainsi été interdites par l’Allemagne puis par la zone euro, les positions nues sur CDS. Une telle neutralisation n’a pas suffi à le rendre inoffensif car le CDS est spéculatif du fait de son mécanisme même, et ceci qu’il soit utilisé spécifiquement dans un but spéculatif ou non.
Comment mesure-t-on le risque associé à un instrument de dette ? Les moyens sont multiples. On peut examiner ce qui s’est passé autrefois dans des cas similaires (c’est la méthode dite actuaire). Au cas où un bien a été gagé, son prix de revente peut-être comparé avec la somme empruntée. Etc.
Or la méthode d’évaluation du risque utilisée par les CDS est stupéfiante : le montant de la prime de risque est déterminé par l’offre et la demande – ce prix étant interprété comme mesure objective du risque, lequel est alors déterminé par un rétro-calcul.
Par quel miracle l’évaluation du risque de cette manière pourrait-elle être correcte ? En raison de l’hypothèse d’« omniscience » des marchés » : les marchés sachant tout, ils feront en sorte que le montant de la prime du CDS déterminé par l’offre et la demande constitue la mesure exacte de la perte éventuelle.
On réagira différemment à cette hypothèse selon que l’on est économiste ou non : les non-économistes penseront qu’il s’agit là d’une farce, tandis que les économistes témoigneront que de nombreux Prix Nobel d’économie ont affirmé doctement qu’il s’agit là d’une vérité (le prouver serait une tout autre affaire !).
Imaginons maintenant que vous pensiez que la Grèce est en grande difficulté et qu’elle risque de faire défaut sur sa dette. Vous ne possédez pas d’obligations grecques mais qu’à cela ne tienne : vous contracterez des « positions nues » sur CDS pour simuler être en péril si la Grèce devait faire défaut.
Maintenant – et quoi de plus légitime ? – vous chercherez à augmenter vos chances de gain. Il vous suffira d’acheter davantage de CDS : une demande supérieure fera grimper le montant de la prime, que les marchés – dans leur grande omniscience – se feront un plaisir d’interpréter comme une augmentation objective d’un risque de défaut de la Grèce… à qui l’on réclamera des taux d’intérêt plus élevés… pour intégrer un risque de défaut qui s’est accru… augmentant le risque qu’elle doive alors faire défaut…
Une escroquerie ? À chacun de juger ! Quoi qu’il en soit, c’est bien de cette manière, à partir du montant de la prime du CDS, que le Fonds monétaire international calcula le risque de défaut de la Grèce en 2012.
Je crains malheureusement que Paul n’ait raison. Il y a certainement une part d’identification à leur leader chez les électeurs…