Un rôle pour l’Europe à la hauteur de ses peuples
La City de Londres ne sait plus depuis le Brexit à quel saint se vouer, tant ce vote signe irrémédiablement son déclin. Mais elle devrait d’abord faire son examen de conscience : n’est-elle pour rien dans le remplacement dans les esprits des valeurs de solidarité par celles de la concurrence, de la compétition forcenée, de la compétitivité – l’autre nom de la guerre de tous contre tous sur le marché de l’emploi ? Car c’est bien la sacro-sainte « compétitivité » prônée par la City et ses relais idéologiques qui a poussé les Britanniques à voir d’abord dans les flux migratoires, plutôt que l’apport en forces vives qu’il est avant tout pour leur nation, les concurrents qui les priveront bientôt d’emploi dans la foire d’empoigne qu’est devenu le monde du travail. Qui a voté pour le Brexit, sinon ceux qui se croient menacés par les migrants ?
Ce n’est donc pas en réalité l’Europe en tant que telle qui est la cause du malheur des peuples, mais l’idéologie ultralibérale de ceux qui la dirigent et qui, au lieu d’unir les nations dans un projet commun, les dresse les unes contre les autres, et à l’intérieur de chacune d’entre elles dresse chaque individu contre tous les autres.
La construction européenne a déçu. À part le projet Erasmus qui a pu offrir à une partie de la jeunesse ce qu’elle espérait – vivre et se reconnaître à l’échelle du continent auquel elle s’identifie – les autres acquis se confondent dans l’esprit du public avec des mesures tatillonnes protégeant davantage les intérêts des entreprises que des consommateurs, ou bien évoquent l’image de la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international) appliquant à de petites nations un corps de doctrine féroce qui y font baisser l’espérance de vie et le niveau d’instruction, ou encore celle des trépignements auxquels on assiste actuellement lorsqu’une région membre entend faire prévaloir les principes démocratiques sur les préférences du monde marchand.
Le projet européen voulait mettre fin à ce que Maynard Keynes appela si justement la « guerre civile européenne ». Il était porteur d’un tout autre idéal que celui d’un marché commun insensible aux citoyens des nations qui le composent.
Or le projet européen est aujourd’hui, plus qu’hier encore, indispensable. La crise globale qui nous emporte ne peut être résolue qu’à l’échelle où elle se pose, à savoir celle de la planète tout entière : crise environnementale, crise de l’emploi due à l’explosion de la robotisation, crise structurelle d’une finance désormais enlisée, crise d’une transition technologique, celle de l’intelligence artificielle, qui nous traverse sans que nous puissions y exercer notre responsabilité.
Tout repli sur un cadre national ou identitaire est condamné d’un simple point de vue pratique. Il nous est possible au contraire d’embrasser des cadres unificateurs, tel celui que l’Europe doit constituer. Prendre à bras le corps à l’échelle européenne les questions urgentes qui se posent a donc cessé d’être un choix pour devenir une nécessité.
Il nous faut donc ressusciter le projet européen, mais au nom du principe qui a présidé à sa fondation, celui de la solidarité et de l’entraide contre celui, mortifère, du « malheur aux vaincus ». Il faudra pour cela, bien sûr, chasser encore une fois les marchands du temple. Mais il s’agit désormais d’une question de survie.
Bonjour Régis, il y a du vrai dans v/com. et à son sujet, j’avais écrit, il y a quelques temps,…