Le texte de l’allocution :
Monsieur le Président, chers collègues,
C’est pour notre Parlement et la Wallonie, un moment extrêmement important.
Ce dont nous parlons, ici, ce n’est pas seulement d’un traité commercial entre l’Union européenne et le Canada. Ce dont nous parlons, ici, c’est de toute la philosophie des échanges commerciaux tels qu’ils se construiront pour les 10, 15, 20 ou peut-être 30 prochaines années.
Cela tombe sur le traité CETA mais la discussion que nous avons, au-delà de toute l’amitié qui nous lie aux Canadiens, est dans le fond une discussion de principe, est une discussion évidemment politique et même, à certains égards, une discussion philosophique. Sur le sens même de ce qu’est le commerce et sur la manière dont il faut le mener. C’est pour cela qu’il y a dans ce débat tant de gravité.
Je commencerai comme vous, Monsieur Jeholet, par vraiment me réjouir du fond du cœur de la qualité des débats que nous avons eus dans ce Parlement sur ces sujets et qui font que ces débats qu’aujourd’hui, nous pouvons très sereinement assumer notre opposition à l’égard de l’ensemble de nos partenaires qu’ils soient européens ou canadiens.
Il y a très peu d’autres parlements qui ont mené un débat aussi riche que le nôtre. Il y a eu un débat très fort aussi au Parlement néerlandais. Je me suis entretenu hier soir encore avec la ministre néerlandaise du Commerce extérieur qui m’a confié qu’un certain nombre de difficultés que nous rencontrons, elle les rencontre également dans son propre Parlement.
Il y a eu un débat également à la Chambre basse du Parlement autrichien qui a lui aussi été très approfondi. Là aussi, le Chancelier autrichien avec qui je me suis entretenu, à plusieurs reprises, m’a dit la même chose: «Plus on débat, plus on analyse, plus effectivement les parlementaires se posent des questions».
S’il y a un débat, ici, en Wallonie, et s’il y a des réticences, ici, en Wallonie, ce n’est pas parce que nous sommes plus bornés que les autres, ce n’est pas parce que nous prendrions plaisir à être le «petit village gaulois», ce n’est pas parce que nous rêvons d’autarcie. C’est tout simplement parce que dans cette Région, il y a deux particularités que l’on rencontre assez peu, ailleurs en Europe. La première particularité, c’est que la Wallonie a toujours été une terre de grande vitalité démocratique. Nous avons des organisations syndicales, des mutualités, des associations, dans tous les secteurs, extrêmement actives, dynamiques, vigilantes, mobilisées qui ont étudié ce texte avec beaucoup de sérieux, qui ont consulté les meilleurs experts, qui ont remis des avis et qui ont alimenté nos propres travaux. Cette vitalité démocratique de notre propre population, nous ne pouvons pas en faire fi; nous ne pouvons pas le balayer du revers de la main sous prétexte que nous risquons d’être isolés. Être isolés de sa propre population, être isolés de ses propres citoyens, à une époque, au début du XXIe siècle, où la démocratie est déjà tellement profondément en crise, ce serait au moins aussi grave que d’être diplomatiquement isolés. Nous devons faire en sorte que ces liens très forts que nous avons soient préservés. C’est un premier élément du débat.
Deuxièmement, nous sommes – cela nous a été rappelé, ici, par M. le Professeur Koen Lenaerts, par ailleurs Président de la Cour de justice de l’Union européenne – l’une des très rares régions en Europe qui a constitutionnellement le même privilège, en termes de droit international, que les parlements nationaux. Nous avons, le Gouvernement wallon a le pouvoir de signer et donc aussi de ne pas signer un traité et votre Parlement a le pouvoir de ratifier et donc aussi celui de ne pas ratifier un traité.
Ceci donne évidemment une très grande gravité à nos débats. Si nous n’avions pas ce privilège, nous n’aurions pas le panel de caméras, venues des quatre coins de l’Europe. Pas grand monde ne se soucierait de l’avis de la Wallonie, si l’avis de la Wallonie n’était pas décisif.
Nous avons donc, de ce point de vue-là, une responsabilité politique majeure. Tout l’art de la politique, c’est de savoir utiliser ces responsabilités. Dire, comme Mme Defrang-Firket: «Nous avons un pouvoir formidable, nous avons une société civile qui s’est mobilisée, c’est très bien. Mais enfin bon, à quoi bon, laissons tomber, signez, ratifiez et puis allons de l’avant et ignorons tout le travail que nous avons fait», ce se serait remettre en cause nos propres compétences constitutionnelles et notre propre vitalité démocratique. À quoi sert alors un parlement, s’il faut de toute façon signer, s’il faut de toute façon ratifier?
À l’inverse, dire: «Mettons tout cela à la poubelle, cela ne sert à rien de discuter», ce serait non seulement confirmer un isolement complet mais ce serait aussi ne pas utiliser pleinement le pouvoir qui est le nôtre.
Bien sûr, nous utilisons pleinement ce pouvoir mais nous l’utilisons pour obtenir quelque chose, pas juste pour crier non, pas juste pour dire que nous ne sommes pas d’accord. Pas d’accord, pas d’accord, pas d’accord! Quand on a dit qu’on n’était pas d’accord, il faut ensuite dire ce que l’on veut et il faut utiliser le rapport de force que l’on a construit pour obtenir des concessions qui vont dans le sens de ce que sont nos inspirations et de ce que sont les aspirations de notre population. C’est cela la politique et c’est cela que nous sommes en train de faire. C’est difficile mais malgré tout, il faut aller au bout de cet exercice.
Bien sûr, nous ne sommes pas contre le commerce. Bien sûr, nous ne sommes pas contre le Canada. Si l’on pouvait déjà s’épargner ces caricatures, si l’on pouvait s’épargner ces simplismes, l’on gagnerait non seulement beaucoup de temps mais on gagnerait aussi beaucoup de la qualité des relations avec nos partenaires européens, avec nos partenaires canadiens.
Bien sûr que les Canadiens sont nos amis. Bien sûr que nous regrettons finalement que cette discussion – je l’ai dit – qui est une discussion de principe qui tombe sur ce traité avec le Canada, lequel est certainement l’un des pays les plus proches de nous au monde, qui tombe sur ce traité qui est certainement l’un des plus avancés aujourd’hui au monde. Ce n’est pas parce que nos amis sont nos amis et ce n’est pas parce que ce traité est moins mauvais que d’autres que nous devrions renoncer à exercer notre responsabilité et notre devoir de vigilance démocratique.
Nous sommes un partenaire commercial important du Canada. L’année dernière, nous avions d’ailleurs un excédent commercial de 115 millions vis-à-vis du Canada. C’est la preuve que l’on commerce très bien avec le Canada et que, même sans le CETA, nous ne sommes pas en train de nous refermer sur nous-mêmes, de nous «racrapoter», comme certains le disent et le prétendent.
Je reviens du Japon. J’ai passé trois jours à défendre nos entreprises présentes sur place pour les aider à exporter davantage, à essayer d’attirer chez nous des investisseurs étrangers. Je n’ai pas deux discours. Je suis convaincu que la Wallonie doit être une Wallonie ouverte. Je suis convaincu que la Wallonie doit exporter et qu’elle doit attirer des investissements étrangers. Je sais que, pour ce faire, nous avons besoin d’instruments juridiques.
À nouveau, cela ne veut pas dire que l’on doit tout accepter, que l’on doit se priver du pouvoir que nous avons d’avoir un véritable examen critique.
Sachons faire la part des choses. Nous ne sommes pas contre le commerce. Nous ne sommes pas contre le Canada. Je dirais d’ailleurs que c’est justement, Madame Defrang-Firket, parce que les Canadiens sont nos amis que nous pouvons nous permettre de leur dire que nous ne sommes pas d’accord avec un certain nombre de choses.
Je n’aime pas quand la discussion, tout d’un coup, commence à glisser vers la menace, comme on a pu l’entendre ces derniers jours: «Attention, il y aura des conséquences. Attention, il y aura des rétorsions» et cetera. Je n’aime pas cela du tout. Je trouve que ce n’est pas digne d’un débat démocratique. Je n’aime pas non plus quand cela commence à glisser tout doucement vers des choses qui s’apparentent à de l’injure. J’espère que, justement parce que nous sommes des amis, nous pouvons éviter entre nous les menaces et les propos plus ou moins injurieux; que nous pouvons nous dire les choses franchement, en toute sincérité, en toute compréhension réciproque.
Quand on a un ami qui a des difficultés, on l’écoute et on essaie de comprendre ses difficultés. On essaie de voir avec lui comment on peut les surmonter ensemble. Cela vaut autant dans les relations diplomatiques bilatérales que dans la vie de tous les jours. C’est le message que nous voulons faire passer.
Nos difficultés sont bien connues.
Elles sont d’abord sur la forme.
Je vous rejoins, Madame Ryckmans et Monsieur Hazée, là-dessus assez largement. Vous avez été applaudis d’ailleurs sur les bancs de la majorité à certains moments. Il y a un vrai problème avec la manière dont on négocie ces traités commerciaux. Ceux qui, aujourd’hui, ne le comprennent pas, sont en train de préparer une crise du commerce bilatéral exactement équivalente à celle que nous avons connue il y a 15 ans avec la crise du commerce bilatéral.
En 2001, souvenez-vous, l’OMC nous a dit: «On ouvre le site de Doha, un nouveau grand cycle de libéralisation multilatérale.» Formidable, ouvert, on fait de grandes négociations secrètes, mais on prépare une petite salle dans le coin où les ONG peuvent faire semblant d’être tenues informées et, de temps en temps, on vient leur faire coucou en leur demandant si cela va, si elles veulent encore un peu d’eau, encore un peu de café, mais sans rien leur donner comme véritable élément d’information et sans débat. Cela ne marche pas et cela ne marchera plus jamais. Les rounds de Doha sont enlisés depuis 15 ans.
C’est pour cela que nous faisons aujourd’hui des discussions bilatérales. C’est justement parce que le multilatéral ne fonctionne plus que l’Europe essaie de renouer des relations avec les partenaires les plus proches, avec le Canada, avec le Japon, demain avec les États-Unis et de le faire sur d’autres bases, de le faire en incluant dans ses relations des normes, des règles sociales, environnementales, de respect des droits de l’homme, de respect de l’exception culturelle qui sont plus fortes et beaucoup plus solides que celles que l’on peut trouver dans les traités de libéralisation multilatéraux. C’est pour cela que nous devons, si nous sommes progressistes et si nous sommes ouverts au monde, si nous voulons, nous, Européens, continuer de jouer un rôle sur la scène mondiale, nous devons défendre l’idée de traités bilatéraux qui fixent des normes et des standards élevés.
Moi, je ne suis pas, Monsieur Gillot, pour dire: «On met le traité à la poubelle». Cela veut dire que l’on met le traité à la poubelle et puis quoi? Rien. Puis, on aura exactement ce que l’on a encore aujourd’hui: des multinationales avec parfois des chiffres d’affaires supérieurs au PIB de certains États membres qui pensent qu’elles peuvent fixer la loi, des multinationales qui recourent à des juridictions privées ou à la menace du désinvestissement, à la menace de retrait, à la menace de rétorsion. C’est cela, le monde réel d’aujourd’hui.
C’est ce que nous voulons éviter, ce dont nous voulons sortir, précisément en édictant des règles socio-économiques et environnementales à l’échelle mondiale, qui transposent dans les relations entre les États ce que nous sommes parvenus à construire dans le chef de nos États décennie après décennie au nom de longs combats sociaux. Les droits sociaux ne sont pas venus comme cela en une fois. Les normes environnementales ne sont pas venues comme cela en une fois. Elles sont le résultat d’une longue mobilisation de la société, qui s’est traduite à un moment donné par une législation.
Il en va exactement de même à l’échelle internationale.
Si nous voulons, demain, qu’il y ait de vraies normes sociales, si nous voulons que les conventions de l’OIT soient applicables, respectées, contraignantes, si nous voulons qu’il y ait de vraies règles en matière des droits de l’homme, du développement durable, il faut faire un travail de négociation pour obtenir un premier traité qui fixe les standards si hauts que cela deviendra la norme européenne. C’est l’enjeu fondamental du CETA.
C’est pour cela que nous devons dire «non» pour négocier. Non pas «non» pour tout saborder et donner un coup de pied dans la fourmilière, mais «non» pour créer un rapport de force qui nous permette d’obtenir plus de normes sociales, plus de normes environnementales, plus de clauses de respect des services publics et qui nous permette, demain, de dire: «Voilà le standard européen». Quand l’Union européenne ouvrira une négociation avec le Japon, avec les États-Unis ou avec n’importe qui d’autre, c’est à partir de ce standard-là que l’on discutera. C’est cela l’enjeu fondamental et c’est pour cela qu’aujourd’hui, ces débats sont aussi forts.
Une telle négociation, on ne peut évidemment pas la mener selon les méthodes habituelles. On ne peut pas faire du nouveau avec les méthodes à l’ancienne. «Un mode de pensée qui a produit les problèmes d’aujourd’hui ne peut pas produire les solutions de demain», disait en substance Albert Einstein. C’est toute la manière de faire des négociations commerciales qui doit changer.
Dans le traité « Vers la paix perpétuelle », Emmanuel Kant disait: «Toutes les actions relatives au droit d’autrui, dont la maxime n’est pas susceptible de publicité, sont injustes». C’est devenu un principe fondamental du droit international. En d’autres termes, tout ce que l’on n’a pas à cacher, on ne doit pas le cacher.
Si l’on n’a rien à cacher dans ces accords commerciaux, si vraiment le CETA est bon pour les petites et moyennes entreprises, si le CETA est bon pour les agriculteurs, si le CETA est bon pour les services publics, si le CETA est bon pour la croissance, alors pourquoi faut-il le négocier en secret ? Pourquoi n’a-t-on pas la confiance de le faire devant les citoyens ? Il y a là une contradiction fondamentale dans la méthode. Elle s’est appliquée depuis le début.
Madame Defrang-Firket, ce n’est pas que nous nous soyons réveillés après 10 ans. Un mandat d’une vingtaine de pages a été donné en 2009. Il fixe les balises et le cadre. Entre 2009 et 2015, la Commission négocie au nom de l’Union européenne, c’est son rôle, mais ne rend pratiquement aucun compte, ne donne pratiquement aucune information sur ce que sont ces négociations en cours. Puis, on arrive en 2015 en disant: «Bonjour, voilà, c’est fini». Les 20 pages sont devenues 1.600 pages et maintenant on vous demande de dire amen. Non, c’est précisément ce qui ne marche pas. C’est précisément parce que nous ne pouvons plus accepter cette manière de faire de la négociation commerciale que nous avons, dès septembre 2015, dès que les textes nous ont été connus, tiré la sonnette d’alarme.
Je ne vais pas vous refaire l’interminable liste des contacts que nous avons eus depuis plus d’un an, mais je voudrais rappeler quand même que c’est le 18 septembre 2015 que j’ai indiqué à la ministre québécoise des Relations internationales ces difficultés que nous avions avec le CETA. C’est quelques jours plus tard, le 2 octobre 2015, il y a plus d’un an, que je me suis rendu au bureau de Mme Malmström, la commissaire en charge du Commerce, au Berlaymont, pour lui expliquer très clairement les difficultés que nous avions avec ce traité. Tout au long de l’année, nous n’avons pas cessé d’avoir des contacts avec nos partenaires européens, avec la Commission, avec le Canada, mais tout cela n’a pratiquement rien donné.
La première réunion de coordination intrabelge a eu lieu le 6 juillet 2016. Entre octobre et juillet, pendant 10 mois, il ne s’est rien passé. Tout à coup, en juillet 2016, on a commencé à se dire: «Tiens, ces Wallons ont l’air déterminés. Ces Wallons ont l’air de savoir ce qu’ils veulent et ils ont l’air de vouloir aller au bout. Il va donc falloir commencer à discuter avec eux».
Quelques jours plus tard, j’appelais le Premier ministre québécois, M. Couillard, en lui disant: «Je comprends que ce soit difficile de tout renégocier, mais comprenez que nous avons, dans une résolution, énoncé quelques balises fondamentales et nous voudrions pouvoir rediscuter sur ces balises dans un instrument juridique à définir. Cela peut être un protocole, cela peut être une convention additionnelle, cela peut être une déclaration interprétative, du moment que c’est juridiquement contraignant». À ce moment-là, on m’a dit: «Pourquoi pas, cela pourrait être une bonne idée», mais rien n’a suivi.
J’ai répété ceci fin septembre à l’envoyé spécial de M. Trudeau, M. Pettigrew, et aux ambassadeurs, mais il a fallu attendre le 4 octobre pour que l’on donne oralement les premiers éléments de ce qu’était la table des matières d’une éventuelle déclaration interprétative, en nous disant: «S’il vous plaît, nous sommes déjà en retard, essayez d’être d’accord pour le 11 octobre, en tout cas, au grand plus tard pour le 18 octobre qui est la réunion du COREPER». Que nous est-il arrivé – qui nous a été présenté oralement – seulement le 6 ou le 7 octobre en soirée, dans une version partielle et dont nous recevons encore chaque jour des petits compléments.
Tous les jours, je reçois un petit bout de déclaration interprétative en plus, avec un peu l’idée: «Allez, ce n’est pas assez, tiens, en voilà encore un petit morceau, un petit morceau, vous finirez bien par dire oui».
Mais cela ne va pas. Sur la méthode, cela ne va pas. Je le répète et je l’ai redit. Je l’ai redit hier au président Hollande, je l’ai dit hier soir au président de la Commission, Jean-Claude Juncker; je l’ai dit à tous ceux qui ont eu la gentillesse et la courtoisie de m’appeler pour me poser la question de la situation de la Wallonie. Nous voulons bien discuter, mais nous voulons nous mettre autour d’une table, en toute transparence, dans le respect des règles démocratiques.
Nous voulons pouvoir dire: «Nous, Wallons, voici les balises que nous voulons absolument retrouver dans un traité» et c’est seulement à l’issue d’une telle négociation, et si les partenaires européens et canadiens rencontrent l’essentiel de nos préoccupations, que nous pourrons vous dire: «Oui, c’est un traité qui fixe des standards très élevés et il mérite d’être défendu».
Mais à l’heure qu’il est, je n’ai toujours pas de réponse. J’ai appelé, ce matin encore, le ministre fédéral des Affaires étrangères, Didier Reynders, pour lui expliquer cette piste. J’ai senti un intérêt. J’espère que nous pourrons avancer dans cette direction; c’est fondamentalement ma volonté. Mais il faut, pour cela, qu’il y ait une vraie volonté de changer la méthode et de démontrer, en bout de course au moins – mieux vaut tard que jamais – que face à des régions qui ont des difficultés, et nous sommes moins isolés qu’on le pense. Bien sûr, personne n’ose sortir le premier, c’est toujours le même jeu, on se dit que celui qui sortira le premier sera celui qui se fera blâmer, c’est lui qui aura les mesures de rétorsion, c’est lui qui sera mis sous pression. Beaucoup attendent en se disant: «Tiens, les Wallons vont-ils sortir les premiers, ce qui me permettra de ne pas devoir sortir puisque tout le processus sera paralysé»; petit jeu tout à fait classique.
Je peux vous dire que, des très nombreux entretiens bilatéraux que j’ai eus, que des réticences il y en a dans au moins quatre ou cinq États membres et que la Commission européenne en est parfaitement consciente!
Il n’y a que dans un jeu politique belgo-belge que l’on essaie de faire croire qu’il n’y a que la Wallonie qui a des réticences avec ce traité, à ce stade.
Si la situation est celle-là, mettons-nous à table, clairement, en toute transparence discutons; voyons si nos demandes, légitimes, peuvent être rencontrées.
Les demandes que vous avez formulées, dans vos résolutions je ne me cache pas devant le Parlement – demander au Parlement de faire un travail d’analyse, d’auditionner, de recevoir, de se prononcer, de fixer des balises dans une résolution, c’est un élément de vitalité démocratique plutôt que de se cacher. Je n’ai pas besoin du prétexte du Parlement. Je veux pouvoir démontrer que je m’appuie sur une majorité parlementaire très large et qui dépasse le cadre de la majorité.
Quand on dit: «Nous avons des difficultés avec l’ICS, le fameux mécanisme d’arbitrage tel qu’il est toujours là», on est loin d’être les seuls. Lisez l’arrêt de la cour constitutionnelle allemande d’hier soir qui dit: «Oui, l’Allemagne peut signer, mais pas ce mécanisme d’arbitrage et quoi qu’il arrive, il ne pourra pas entrer en vigueur, même pas de manière provisoire». La cour constitutionnelle allemande est quand même une institution qui pèse en Europe. Si elle le dit, c’est que ce ne sont pas seulement nous, les petits Wallons, qui avons un problème avec ce mécanisme. Elle retient exactement les mêmes critiques d’un risque de privatisation rampante de la justice que nous avons émises, que vous avez émises dans vos résolutions.
Quand nous disons: «La déclaration interprétative est pleine de bonnes intentions», c’est vrai. Les messages politiques qui sont exprimés sont des messages qui rencontrent nos aspirations, sur les droits de l’homme, sur l’exception culturelle, sur la protection des normes environnementales, sur le conventions de l’OIT, sur le droit du travail, sur la capacité de réguler, sur le principe de précaution, et autres, puisqu’il en arrive des nouvelles pages tous les jours. Tous ces éléments vont dans le bon sens, qui rencontrent ce qu’ont été nos aspirations.
Mais telle, qu’elle est formulée aujourd’hui, cette déclaration interprétative n’est pas suffisante; elle ne nous donne pas suffisamment de garanties.
Je ne vais pas entrer ici dans un débat de juristes, les expertises que nous avons demandées à différents cabinets d’avocats et différents universitaires nous disent qu’une déclaration interprétative peut, quand elle est écrite d’une certaine manière, avoir une force juridique totalement contraignante si elle est acceptée par les deux parties, opposable aux tiers, reconnue comme étant opposable aux tiers et si elle est libellée de manière très précise elle a exactement la même valeur que le traité lui-même.
Si l’on dit dans la déclaration interprétative, à l’article 30, alinéa 5: «Il faut comprendre tel mot comme ayant tel sens», cela a tout à fait la même valeur juridique qu’un amendement. C’est, de fait, un amendement au traité.
La question n’est pas «Faut-il une déclaration interprétative ou un autre instrument juridique?». La question c’est «Comment libelle-t-on ces observations?». C’est ce que j’ai dit aussi à tous ceux qui m’ont appelé. Si vous acceptez que nous rouvrions la discussion, nous demanderons que l’on relibelle, que l’on reformule un certain nombre de remarques qui sont dans la déclaration interprétative, que l’on en apporte quelques autres complémentaires.
Je suis convaincu que beaucoup d’autres États européens, pour avoir eu de nombreux contacts, nous soutiendront parce qu’eux aussi, aspirent à avoir des clauses beaucoup plus précises en matière de protection des services publics, de protection des droits du travail.
C’est ce message-là que nous devons faire passer. Politiquement, ce n’est pas facile, évidemment que ce n’est pas facile. On prend des risques, quoi que l’on fasse. On prend le risque soit de s’isoler de sa population. Si l’on veut se dire «Ne nous prenons pas pour plus importants que nous sommes, acceptons le traité tel quel, ce n’est déjà pas si mal. Tant pis pour les quelques petites imperfections». Je crois que l’on ne fera que renforcer la défiance déjà très profonde dans le personnel politique et on ne fera que renforcer la défiance encore plus profonde à l’égard des négociations internationales et du commerce.
On peut se dire, à l’inverse: «Disons non, un point c’est tout, puis allons faire un feu d’artifice, en se réjouissant d’avoir fait échouer le bateau CETA. Et quoi demain? Demain tant pis». Cela ne me paraît pas non plus être une position de responsabilité politique.
Par contre, on peut dire non mais expliquer pourquoi on dit non et expliquer à quelles conditions nous accepterions de négocier à nouveau. Cela a toujours été notre position et cela reste notre position.
Ce que je dirai, à l’ensemble de ceux qui me poseront la question, ce que j’ai dit et que je confirmerai au ministre fédéral des Affaires étrangères tout à l’heure, c’est ceci: aujourd’hui, le Parlement wallon a réexaminé la déclaration interprétative. De nouveaux documents arrivent aujourd’hui, arriveront encore sans doute demain, peut-être lundi. Nous continuerons de les examiner, parce que c’est ce sérieux, c’est cette rigueur dans l’analyse qui nous donnent de la crédibilité dans notre démarche. Toutefois, aujourd’hui, à l’analyse, ceci ne donne pas de garanties suffisantes.
Comme je m’y étais engagé formellement devant vous, je ne donnerai pas les pleins pouvoirs au Gouvernement fédéral et la Belgique ne signera pas le CETA le 18 octobre.
Je ne prends pas ceci comme un enterrement, je ne prends pas ceci comme un veto sans condition, je prends ceci comme une demande de rouvrir des négociations pour que de légitimes attentes d’une société civile organisée, transparente, qui ont été exprimées avec force, puissent être entendues par les dirigeants européens et pour que nous puissions ensemble contribuer, non seulement à notre prospérité mais aussi à reconstruire la confiance politique entre les citoyens et leurs élus.
Tant qu’on mettra la liberté avant l’égalité, on ne sortira pas du cadre!