Billet invité.
S’ils existent, où sont-ils ? C’est par cette simple phrase que l’on peut résumer le fameux paradoxe posé par Enrico Fermi. Notre système solaire est jeune comparé à l’âge de l’univers, notre Soleil est une étoile de troisième génération, et les nébuleuses protostellaires ayant donné naissance aux étoiles de seconde génération, étaient déjà suffisamment enrichies en éléments lourds pour permettre l’apparition des précurseurs, puis de la vie elle-même, telle que nous la connaissons.
Autrement dit, les mêmes causes produisant les mêmes effets, des civilisations plus anciennes que la nôtre devraient exister. Alors où sont-elles ? Comment se fait-il que nous n’ayons pas été visités, que nos programmes d’écoute ne détectent rien et que nous n’ayons trouvé aucune trace ‘d’ingénierie cosmique’ (ou de catastrophes industrielles cosmiques !), permettant d’identifier à coup sûr une civilisation avancée ?
Modélisation 3D de la structure de l’Univers. NASA
Des dizaines d’hypothèses tentent de répondre à cette interrogation. Citons les quatre catégories principales en ignorant celle dite du gâchis d’espace (nous sommes seuls) :
– Les civilisations ont une nette tendance à l’autodestruction, et même si elles apparaissent en de nombreux endroits, fort peu nombreuses sont celles qui se survivent.
Variante : celles qui se survivent doivent être tout de même suffisamment agressives pour que nous évitions de chercher leur contact.
– Nous sommes bien trop primitifs. Le seul contact avec une civilisation plus avancée suffirait à nous détruire (plaisamment appelée hypothèse du zoo).
Variante : elles sont aussi motivées pour nous contacter que nous le sommes pour discuter avec une colonie de crabes vivant à grande profondeur près des fumeurs noirs.
– Les distances sont beaucoup trop grandes et les civilisations se contentent de coloniser leur système stellaire (pour donner une idée de ce que signifie ici le terme de distance, rappelons les 80 à 100.000 années lumières de la taille de notre galaxie. À savoir qu’un photon voyageant à près de 300.000 km/s met de 80 à 100.000 ans pour en parcourir la longueur).
Variante : bien qu’ils aient entrepris le voyage depuis fort longtemps, ils n’ont pas encore eu le temps d’arriver jusqu’à notre coin perdu de la Galaxie, le bras mineur d’Orion.
Planète bleue sur fond de Voie Lactée
– À supposer que l’apparition de la vie soit assez fréquente, rien ne prouve qu’elle évolue systématiquement vers des formes complexes et conscientes.
Variante : une forme de vie, même technologiquement avancée, n’est pas forcément tentée par l’exploration et pourrait se révéler avoir une forme de conscience auto-centrée.
Et si certains scientifiques tel Carl Sagan (surnommé de manière peu charitable ‘les dents du Cosmos’, tant il se mettait en avant dans son émission télévisée de vulgarisation scientifique Cosmos), ont imaginé des formes de vie évoluant dans les couches atmosphériques supérieures des géantes gazeuses, ou que certains auteurs de science-fiction tel Arthur C. Clarke ont imaginé des formes de vie gravitationnelle ou évoluant à la surface d’étoiles, la recherche d’une vie extraterrestre est avant tout celle d’une forme de vie ‘à notre image’ : à base de carbone, utilisant l’eau comme solvant et apparaissant sur des corps rocheux orbitant à distance adéquate de leur étoile (zone d’habitabilité), elles-mêmes se trouvant dans une zone galactique assez excentrée pour pouvoir être protégée des rayonnements importants des régions centrales. À noter que des satellites de géantes gazeuses en dehors de la zone continuellement habitable, sont également susceptibles d’abriter la vie (à l’exemple dans notre système solaire de la lune jovienne Europe, fortement soupçonnée d’abriter un océan d’eau liquide et salée sous son épaisse banquise).
Europe. Mosaïque de photographies. NASA
C’est pour tenter de mettre un peu d’ordre et de voir clair dans ce foisonnement de possibilités, que l’astronome Frank Drake inventa sa célébrissime équation en 1961, où N est le nombre de civilisations dans la Galaxie avec lesquelles nous pourrions communiquer, R* est égal au taux de formation des étoiles dans notre galaxie, égal au nombre d’étoiles divisé par l’âge de la Galaxie, multiplié par la fraction de ces étoiles accompagnées d’un système planétaire (fp), multiplié par le nombre moyen de planètes (et maintenant de lunes) susceptibles d’offrir les conditions nécessaires à l’apparition de la vie (ne), multiplié par la fraction où la vie apparait effectivement (fl), multiplié par la fraction où la vie intelligente est apparue (fi), multiplié par la fraction où cette vie est capable et désireuse de communiquer (fc), multiplié par la durée de vie moyenne d’une civilisation (L), soit :
N = R* x fp x ne x fl x fi x fc x L
Si nous partons de l’hypothèse (toujours discutée) que l’Humanité est une forme de vie intelligente, alors N est égal au minimum à 1. Mieux : les avancées scientifiques permettent peu à peu de préciser les différents facteurs de l’équation. Ainsi si un consensus donne pour R*, 3 nouvelles étoiles par an, et une population galactique de 200 à 400 milliards d’étoiles (…), fp est estimé à 60 millions dans le seul bras d’Orion et à… 20 milliards pour l’ensemble de la Voie lactée ! Voilà pour les estimations statistiques. Mais si nous en restons aux seules observations, alors à fin juillet 2016, 21 exoplanètes avaient été repérées dans la zone habitable de leur étoile.
Seulement 21 ? Cela parait peu comparé aux estimations de fp, mais c’est en réalité énorme si l’on prend en compte que ce nombre résulte d’un minuscule échantillonnage de 150.000 étoiles, réparties dans une non moins minuscule partie de la Galaxie.
Résultat : s’il y a encore quelques années, il était presque aussi périlleux pour la carrière d’un astronome d’évoquer la possibilité d’une vie extra-terrestre, que de parler de dissection de cadavres d’aliens dans des bases secrètes de l’armée américaine, aujourd’hui le tabou est levé. Mieux même, il n’est pas exagéré de dire que la possibilité de trouver une vie extra-terrestre fait consensus dans la communauté scientifique.
C’est maintenant sur l’existence d’une vie intelligente que le débat s’est déporté.
Alors profitons-en pour proposer une nouvelle réponse au paradoxe de Fermi, et malgré l’immortelle et définitive sentence de Michel Audiard, osons proposer un ajout à l’équation de Drake:
1- En se basant d’une part sur la pensée de Paul Jorion, qui écrit dans un texte recueillant à cette heure plus de 7.000 ‘j’aime’ : « Je vois plutôt le développement technique comme le prolongement du processus biologique », ou bien encore « De la même manière, je crois qu’il n’est pas impossible que le vivant produise du machinique reproductible, qui se reproduirait lui-même. Au fond, la technique était inscrite dans le biologique. De la même façon que le biologique était inscrit dans le chimique ». Des idées qui doivent être mises en parallèle avec le fait qu’un organisme biologique doit recréer, s’il veut espérer voyager longuement dans l’espace, l’ensemble des caractéristiques de son habitat originel. Dans le cas de notre espèce, nous devrions non seulement savoir fabriquer et recycler notre alimentation, notre eau et notre oxygène, mais également recréer une gravité artificielle et trouver un moyen de nous protéger des rayonnements cosmiques (les astronautes, cosmonautes et autres spationautes évoluant à l’intérieur du bouclier magnétique qui protège la vie terrestre). En outre, et ça n’est pas le moindre des défis, il faudra impérativement trouver un moyen pour que l’équipage confiné dans un espace relativement réduit, n’en vienne pas à s’entretuer après plusieurs années de cohabitation forcée (sans oublier de rajouter à cette équation psychologique, les problèmes sentimentaux et les tensions liées à la sexualité…).
Et même à imaginer des vaisseaux-mondes longs de plusieurs dizaines de kilomètres se déplaçant à une fraction de la vitesse de la lumière -ce qui en l’état actuel de la technologie spatiale relève de la spéculation la plus débridée-, quel intérêt d’investir autant d’efforts dans un périple aussi hasardeux ? Il semble bien que si l’espace interplanétaire puisse être raisonnablement appréhendé pour les générations futures, l’espace interstellaire doive lui rester à jamais hors de portée de nos si fragiles organismes biologiques.
2- En se basant également sur la manière dont les physiciens se sont emparés de la théorie de l’information de Claude Shannon, pour théoriser que la physique quantique ne décrit pas la réalité elle-même, mais seulement l’accès à la quantité d’information que nous pouvons espérer en extraire. Une voie suivie par des cosmologistes, qui bien en peine de pouvoir plonger une sonde directement au cœur du Big bang ou d’un trou noir, se contentent de travailler en laboratoire pour essayer de prédire ce qui se passe au cœur de ces singularités. Pour citer le physicien Carlo Revelli : « c’est une sensation diffuse ; quand elle parle avec la mécanique quantique, la gravité donne immédiatement de la thermodynamique. Or la thermodynamique, c’est de l’information ».
3- En se basant enfin sur le théorème d’un vieil abbé mort en 1761, Thomas Bayes, certains physiciens quantiques (encore eux !), postulent que les lois fondamentales de la matière découlent de la statistique bayésienne. Que non seulement celles-ci ne décrivent pas la matière mais l’information, mais qu’en plus le monde que nous percevons n’est que virtuel et subjectif. Un artefact construit par notre esprit à partir d’un magma de 0 et de 1 commandés par la statistiques de Bayes ! (Honneur aux anciens, l’abbé précède les sœurs Wachowski de plus de deux siècles).
Conclusion
Cette vertigineuse théorie permet donc une nouvelle classification du vivant en fonction de l’accès à la quantité d’information maximale dont il est capable. Dis-moi quelle est la capacité de ton disque dur, et je te dirai à quelle espèce tu appartiens et comment tu perçois le monde…
La conclusion s’impose d’elle-même : par ses capacités de stockage et de traitement de l’information, une IA forte aura accès à des couches plus profondes de la réalité et qui nous resteront à jamais inaccessibles.
D’où une nouvelle réponse (une variante nouvelle en tout cas), au paradoxe de Fermi : si nous ne « les » voyons pas, c’est « qu’ils » sont hors de portée de nos sens, mais aussi de notre compréhension. Le compteur de N restera bloqué à jamais sur 1 (du moins tant que nous parvenons à nous survivre).
Ce qui transposé dans la formule de Drake pourrait s’écrire :
N = R* x fp x ne x fl x fi x fc x L x Ls
Où Ls représente la fraction des civilisations capables d’engendrer une Singularité avant de s’éteindre.
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Finalement, rien de neuf sous les myriades de soleils : l’essentiel reste de profiter du jour et d’avoir de beaux enfants…
« Vladimir Poutine montre qu’il cherche à évoluer dans un cadre légaliste écrit normatif » Mais oui bien sûr ! Louis XIV…