Sciences Critiques, Paul Jorion : « Se débarrasser du capitalisme est une question de survie », le 7 octobre 2016
Si, à la faveur du mouvement de contestation de la loi El-Khomri, la place et l’avenir du travail dans notre société ont récemment fait – et font toujours – l’objet de débats particulièrement intenses, la destruction de l’emploi salarié et du travail humain par le système capitaliste et le déferlement technologique semble toutefois être un impensé du mouvement social comme de la classe politique dans son ensemble. Pourquoi ? Explications avec le socio-anthropologue et ancien trader Paul Jorion.
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Sciences Critiques – La mécanisation, la robotisation puis la numérisation du travail correspondent-elles, selon vous, à un progrès social ou à une catastrophe anthropologique ?
Paul Jorion – C’est un progrès pour la civilisation humaine, parce que cette capacité à l’invention, que d’autres animaux n’ont pas, fait partie des aspects positifs du genre humain. Cette inventivité fait notre originalité. Dès que nous avons pu, nous avons essayé de diminuer l’effort dans notre tentative de transformer le monde autour de nous, pour manger, se loger, etc. Nous avons toujours cherché à avoir des moyens techniques pour éliminer les tâches dangereuses, épuisantes, fastidieuses, avilissantes, etc. La technique est consubstantielle à l’homme. Selon l’ethnologue André Leroi-Gourhan, le développement du cerveau est concomitant à l’utilisation de l’outil. Nous utilisons ce dernier, mais nous le développons aussi. Nous cherchons constamment la façon dont nous pouvons l’améliorer. Cela fait partie de notre nature. L’être humain tire une certaine jouissance dans l’affrontement au monde.
LE CAPITALISME EST UN SYSTÈME QUI CRÉE UN AVEUGLEMENT CONCERNANT SON CARACTÈRE ABSOLUMENT ABOMINABLE.
Cela dit, nous ne transposons pas cette capacité à transformer le monde autour de nous dans la mise en œuvre raisonnée des meilleurs systèmes d’organisation politique… Nous vivons aujourd’hui dans un système politique extrêmement inégal, qui engendre la concentration de la richesse par quelques-uns. Or, les personnes bénéficiaires de ce système bloquent l’accès à une vie meilleure pour tout le monde. Dans ce contexte, le progrès technologique qui permet la diminution du travail est confisqué par certains, aux dépens de tous les autres. Autrement dit, le problème n’est pas que nos inventions soient mauvaises en soi, mais nous tolérons un système politique qui les détourne de leurs capacités à faire du bien. Et ce système politique, c’est le capitalisme. Le capitalisme est un système qui crée un aveuglement concernant son caractère absolument abominable.
La technologie est pourtant le « bras armé » du capitalisme…
Je ne dirais pas cela. Les savants vivent dans leur monde. Ils sont relativement à l’écart de toute réflexion sur le système politique. Je crois, en réalité, que technologie et capitalisme sont indépendants. Le développement technologique est indépendant du développement des sociétés. Il peut être une catastrophe uniquement parce qu’il manque autour de lui l’environnement pour le canaliser. Et il y a, autour de nous, un système politique qui organise la confiscation de la technologie qui, pour moi, est neutre. Ce qui est mortifère, c’est le cadre dans lequel cette technologie se déploie.
Justement, le développement de la technologie dans le système capitaliste est-il synonyme de destruction du travail humain ?
Oui, bien sûr. En janvier dernier, des chercheurs d’Oxford ont affirmé que la robotisation créera à l’horizon 2022 un million d’emplois aux États-Unis. C’est une augmentation de 18%, ce qui est considérable. Cette année-là, quatre millions de personnes travailleront dans l’informatique, à fabriquer des logiciels, des robots, à développer l’Internet des objets, les Big Data, etc. Or, quatre millions sur 160 millions de travailleurs, ce n’est que 2,7% de l’emploi. Ce n’est rien ! En réalité, il y aura peut-être un million de travailleurs supplémentaires, mais 100 millions d’emplois vont disparaître dans le même temps… Il est très difficile en réalité d’imaginer les conséquences du développement technologique.
À PARTIR DU MOMENT OÙ UNE INVENTION TECHNIQUE DÉTRUIT PLUS D’EMPLOIS QU’ELLE N’EN CRÉE, IL Y A UN PROBLÈME SOCIAL.
On rappelle souvent qu’il y a eu une grande transition dans le monde du travail dans les années 1960 : celle du passage des usines aux services. Un nombre considérable de personnes sont passées, en une dizaine d’années, d’ouvrier à vendeur ou commerçant. Ce sur quoi il faut insister, c’est que la formation nécessaire pour convertir un ouvrier en vendeur, cela prend au maximum deux-trois semaines. Or, pour qu’un ouvrier ou quelqu’un qui travaille dans les services, devienne un programmeur qui code du logiciel pour des robots, cela prend au moins quatre ans. Et l’on sait que tout le monde ne pourra pas écrire du logiciel…
Qui est pénalisé par le déferlement technologique ?
Celui qui veut vendre sa force de travail : le prolétaire d’autrefois, le salarié d’aujourd’hui. Le phénomène ne touche plus uniquement les ouvriers. Ceux qui calculent combien d’emplois vont disparaître dans les années qui viennent sont naïfs, parce qu’ils considèrent que seul l’emploi manuel sera remplacé. Or, le système financier actuel conduit aussi à remplacer le travail qui coûte cher, même, et surtout, le travail intellectuel. Et on le fait ! Le cas des traders remplacés par des algorithmes en est une illustration. Il existe aussi des exemples dans le milieu médical. Il y a aujourd’hui des machines qui établissent des diagnostics médicaux très précis. Elles font moins de 1% d’erreurs, là où un médecin fait en moyenne 10% d’erreurs… Entre les deux, il y a une déperdition de vies humaines, il y a des gens qui meurent. La question est la suivante : dans combien de temps la Sécurité sociale fera-t-elle pression en avançant que le diagnostic médical établi par une machine coûte moins cher et qu’il permet d’épargner des vies humaines ?
Y a-t-il eu une rupture historique dans le monde du travail avec l’arrivée de la numérisation ?
Il n’y a pas eu de rupture fondamentale. Même avec l’apparition, dans les années 1970, puis la massification de l’ordinateur individuel, la tendance de fond reste la même : la destruction de l’emploi. De manière générale, à partir du moment où une invention technique détruit plus d’emplois qu’elle n’en crée, il y a un problème social, parce que le rapport de force entre les salariés et les détenteurs de capital est lié à une certaine rareté du travail. Une rareté qui oblige à ce que celui qui produit son travail soit payé. Si cette rareté diminue, s’il y a un poste pour 500 candidats, le salaire va forcément baisser. Or, il n’y a pas de limite absolue à la baisse, sauf peut-être si l’État en décide autrement. Et ce que l’on voit maintenant avec l’« ubérisation » de l’économie, c’est que les salaires tombent en-deçà du salaire de subsistance, en mettant en concurrence tous ceux qui peuvent faire quelque chose. Dans un monde où le nombre de boulots tend à disparaître, les salaires tomberont nécessairement un jour sous le salaire de subsistance.
IL N’Y A PAS EU DE RUPTURE FONDAMENTALE DANS LE MONDE DU TRAVAIL AVEC L’ARRIVÉE DE LA NUMÉRISATION. LA TENDANCE DE FOND RESTE LA MÊME : LA DESTRUCTION DE L’EMPLOI.
Finalement, il y a une perte par rapport au XIXème siècle. A cette époque, la main-d’œuvre qui quittait les campagnes en très grand nombre pouvait être employée dans les villes. Les conditions étaient certes difficiles : salaires de misère, 13 heures de travail par jour, avec des enfants qui travaillaient aussi, etc. Mais, il y avait une compréhension de la part du patron, de sorte que le salaire ne pouvait pas descendre en-dessous du salaire de subsistance de l’époque, parce que le patron avait besoin de l’ouvrier le lendemain. Il savait qu’il fallait payer suffisamment l’ouvrier pour que ce dernier revienne le lendemain matin. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On est prêts désormais à aligner les salaires français sur ceux du Bangladesh… On appelle ça « la compétitivité » ! C’est comme dans du Orwell, on a donné un nom tout à fait innocent à un phénomène complètement destructeur.
Si l’on accepte le principe que c’est le marché qui dirige, c’est-à-dire le simple rapport de force entre la main-d’œuvre et les employeurs, les salaires se rapprocheront de zéro… A fortiori dans un monde où la concurrence entre les candidats pour un emploi augmente. Il n’y a plus de limite, c’est ça le problème ! L’économiste suisse Jean de Sismondi le disait déjà dans les années 1820 : celui qui, dans son travail, est remplacé par une machine ne bénéficie pas, à titre individuel, de son remplacement. Alors, il avait suggéré que celui qui est remplacé par une machine reçoive une rente à vie perçue sur la richesse générée par la machine. La mécanisation est un progrès collectif. Mais, si elle est confisquée par quelques-uns en opprimant tous les autres, ce n’est plus un progrès. La mécanisation doit être définie quelque part comme devant être au bénéfice de l’humanité dans son ensemble.
Pourtant, le progrès technique est souvent considéré comme un progrès social…
Oui, mais pourquoi ? Parce que nous avons une très grande naïveté. Quand j’étais enfant dans les années 1950, on nous disait que, dans les années 2000, on travaillerait moins, qu’il y aurait beaucoup plus de loisirs, qu’on passerait plus de temps avec ses enfants, à faire des activités créatrices, etc. Mais c’était d’une naïveté confondante ! C’est oublier que nous sommes dans un système capitaliste, où les gains générés par la mécanisation sont confisqués par certains, aux dépens des autres.
Quels sont les emplois créés par la numérisation aujourd’hui ?
Ce sont essentiellement des emplois pour concevoir des logiciels, œuvrer à la transition énergétique, développer l’Internet des objets, etc. Mais, ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’écrire des logiciels pour des robots ne nécessite pas l’emploi de millions de personnes. Quand SnapChat est vendu pour six milliards de dollars, c’est une compagnie qui emploie 85 personnes… Auparavant, pour six milliards, on vendait une usine automobile qui employait 22 000 personnes !
CELUI QUI EST REMPLACÉ PAR UNE MACHINE DOIT RECEVOIR UNE RENTE À VIE PERÇUE SUR LA RICHESSE GÉNÉRÉE PAR LA MACHINE.
La numérisation du travail s’accompagne parallèlement du type de déqualification que le philosophe Bernard Stiegler appelle la « prolétarisation ». Avant, il fallait un diplôme universitaire avec plusieurs années d’études pour parvenir à réaliser telle ou telle tâche. Maintenant, il suffit d’avoir le bac pour pousser un bouton, et le travail est réalisé par un logiciel.
La relocalisation de l’économie est-elle une solution au problème du chômage ?
Non, malheureusement. Prenons, par exemple, le cas éloquent d’Apple. Quand Apple décide de délocaliser en Chine, ils sont alors 5 000 à travailler aux États-Unis. Une fois en Chine, il n’y a plus que 2 000 personnes, car les process de production ont été rationalisés en intégrant des machines-outils, des robots, etc. Et si Apple relocalise aux États-Unis, il n’y aura plus que 300 personnes au final… Autrement dit, quand une activité qui a été délocalisée dans un pays à bas-coûts revient dans son pays d’origine, la situation n’est plus comparable. Il y a une perte nette d’emplois ! Le problème du chômage est insoluble… La seule chose qui pourrait le résoudre est que nous acceptions la mécanisation du travail et que le bénéfice de cette dernière aille dans un pot commun pour servir à la communauté dans son ensemble. Mais, encore une fois, le système économique actuel ne permet pas de le faire. Et la classe politique ne prend pas au sérieux la question de la destruction du travail par le développement de la technique. Elle est, au contraire, dans une attitude défensive face à cette situation : on doit s’adapter, on va gérer la misère…
Vous appelez de vos vœux un soulèvement populaire…
Oui. Si on continue comme ça, c’est l’extinction de l’espèce humaine. Ou l’on change le système, ou dans trois générations, c’est terminé. Certains disent que le destin de l’être humain est d’être remplacé par des machines, que nous sommes finalement, nous, êtres humains, des machines beaucoup trop fragiles pour fonctionner sur la longue durée, puisque nous avons besoin d’oxygène toutes les cinq secondes, de boire de l’eau toutes les heures, etc. Autrement dit, que nous ne sommes pas viables depuis le début. Il faudrait donc que nous nous réconcilions avec l’idée que les machines sont beaucoup plus efficaces que nous, qu’elles constituent un progrès sur nous. Par conséquent, soyons très fiers, puisque c’est nous qui les avons inventées…
SI ON CONTINUE COMME ÇA, C’EST L’EXTINCTION DE L’ESPÈCE HUMAINE.
Pour ma part, je dis au contraire que le moment est venu : s’il n’y a pas de prise de conscience générale, pas de rébellion dans les cinq années qui viennent, c’est cuit pour l’espèce humaine. Le tournant, c’est maintenant. Il faut sortir du capitalisme ! Se débarrasser du capitalisme était une question de justice au XIXème siècle, maintenant c’est une question de survie.
Que se passera-t-il si cette révolte populaire n’advient pas ?
Il y aura une concurrence toujours plus grande entre les gens qui ne gagnent leur vie que par le salariat. Cela veut dire que les salaires vont continuer à baisser. Le patronat et les milieux d’affaires proposeront alors une allocation universelle, qui sera simplement un moyen de faire taire les contestations. D’autres propositions seront faites, comme généraliser le statut d’intermittent du spectacle ou celui de fonctionnaire à l’ensemble de la population. Mais, je crains que ce ne soit que des palliatifs pour gérer la misère. Comme l’emploi va diminuer, la misère ne va pas arrêter de monter. Et, parallèlement, le poids des salariés dans le rapport de force économique ne va pas arrêter de baisser, quel que soit l’emploi. Un emploi manuel sera remplacé par un robot et un emploi intellectuel par un logiciel.
UN EMPLOI MANUEL SERA REMPLACÉ PAR UN ROBOT ET UN EMPLOI INTELLECTUEL PAR UN LOGICIEL.
A l’avenir, faire travailler des êtres humains coûtera trop cher. Le jour où l’on pourra remplacer les contrôleurs du ciel, les camionneurs, les conducteurs de taxi par une machine, il y aura certainement moins d’accidents. Mais où tous ces travailleurs vont-ils aller ? Une chose est sûre : tous ne deviendront pas des programmeurs… Une allocation universelle ravivera la vieille peur des bien-pensants que le désoeuvré aille boire sa paie. Hegel posait déjà la question en 1801 : peut-on imaginer un monde dans lequel personne ne travaillerait ? Et il répondait qu’une grande partie de la reconnaissance que nous obtenons en tant qu’êtres humains vient du travail. Nous en tirons une fierté. Le travail est une institution importante dans notre société. Il nous permet de nous affronter au monde, et je crois que c’est une bonne chose.
Précisément, que vous a inspiré votre travail sur les algorithmes ?
J’ai éprouvé une très grande satisfaction à mettre au point des logiciels, à résoudre des problèmes que l’on disait, pour la plupart, insolubles. C’était très gratifiant et c’était tout à fait le genre de casse-tête qui me passionnait. A cette époque-là, au tournant des années 1990, j’avais le talent dont les banques avaient besoin, non pas en tant qu’anthropologue, mais en tant qu’ingénieur spécialisé en Intelligence Artificielle. Disons que j’ai consacré le peu de tempérament artistique que j’avais à la conception d’algorithmes. A l’époque, la complexité des modèles utilisés dans la finance dépassait les compétences des personnes, économistes ou comptables, qui y travaillaient. Comme j’avais perdu mon emploi dans l’Intelligence Artificielle – du fait de la baisse drastique des budgets militaires à la fin de la Guerre froide, qui finançaient nos recherches à notre insu – et comme il n’y avait pas de boulot en Sciences Humaines et Sociales, j’ai accepté le poste que l’on me proposait. Je suis certain que je ne l’aurais pas accepté si mon maître, Claude Lévi-Strauss, ne m’y avait pas encouragé. Il m’avait dit que c’était une occasion unique d’entrer dans un milieu habituellement fermé aux anthropologues et de pouvoir y découvrir des choses extraordinaires. Le jour où la crise des subprimes se dessine [la crise financière qui éclate aux Etats-Unis en 2007 et qui engendre la crise économique mondiale de 2008, NDLR], je me suis souvenu de ce qu’il m’avait dit. C’était le jour auquel il avait pensé. J’ai alors témoigné publiquement de ce que j’avais observé de l’intérieur. Mais je ne pensais pas que mes alertes resteraient lettre morte…
NOS AFFECTS NOUS EMPÊCHENT D’AGIR DE MANIÈRE APPROPRIÉE DEVANT UN DANGER QUE NOUS N’AVONS PAS CONCEPTUALISÉ.
Concernant les algorithmes, j’ai la même opinion que pour l’argent ou, plus généralement, pour la technique : ils sont neutres. Il y a seulement des bons et des mauvais usages. En ce sens, je me distingue de penseurs comme Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Günther Anders, etc., pour qui la technique est précisément tout sauf neutre.
Ces intellectuels considèrent également que la technique s’auto-accroît, qu’elle s’engendre elle-même, qu’elle progresse en dehors de toute intervention humaine. Ce n’est pas votre avis ?
Je vois plutôt le développement technique comme le prolongement du processus biologique. La chimie n’est pas condamnable en soi parce qu’elle a un jour produit des acides aminés qui ont à leur tour engendré du vivant. De la même manière, je crois qu’il n’est pas impossible que le vivant produise du machinique reproductible, qui se reproduirait lui-même. Au fond, la technique était inscrite dans le biologique. De la même façon que le biologique était inscrit dans le chimique. Pour moi, le « Mal » n’est pas intrinsèquement dans la nature et je ne pense pas que la vie s’auto-détruise. On l’a vu lors des grandes extinctions d’espèces que la Terre a connues au cours de sa longue histoire : quand la vie reprend ses droits, elle invente de nouvelles « solutions ». Des animaux ont disparu au cours du Permien, qui ne sont pas réapparus par la suite. La nature en a créés d’autres.
Selon moi, l’apparition des machines ne constitue pas une véritable rupture anthropologique : c’est l’homme, être naturel, qui les a créées. Ce qui est intéressant, en revanche, c’est notre capacité à l’analogie. Lorsque nous créons une machine, nous le faisons en tirant les conséquences de ce que nous avons déjà pu voir par ailleurs. Par exemple, l’invention du saxophone, par plusieurs personnes qui s’observaient jusqu’alors les unes les autres, provient du perfectionnement de la clarinette. Il n’y a pas ce processus de perfectionnement dans la nature, qui se réinvente en permanence, sans fertilisation réciproque entre ses éléments. Prenons l’exemple de l’œil chez les mammifères. Bien que cet organe soit apparu chez ces derniers 225 millions d’années après être apparu chez les mollusques, il s’agit en réalité d’une « solution » bien moins bonne « techniquement ». L’irrigation sanguine, située devant la rétine, représente un obstacle visuel que le cerveau du mammifère doit sans cesse corriger.
Le développement technique s’inscrit dans la continuité du processus biologique, soit. Mais, par ses innombrables inventions techniques, l’être humain est aussi capable de s’auto-détruire…
Oui, je suis complètement d’accord. Et le paradoxe, c’est que nous savons exactement ce qu’il faudrait faire pour ne pas que cela arrive : mettre en place un système politique qui neutraliserait ce danger. Nous sommes très bien équipés, grâce à nos différents processus d’apprentissage, pour anticiper un danger qui nous est familier. Mais, notre système émotionnel, nos affects, nous empêchent d’agir de manière appropriée devant un danger que nous n’avons pas conceptualisé, même s’il est imminent.
L’ÊTRE HUMAIN SE REND COMPTE DE CERTAINES CHOSES À PARTIR DU MOMENT OÙ IL LES VIT DANS SA CHAIR. MAIS, GÉNÉRALEMENT, IL EST DÉJÀ TROP TARD.
Finalement, nous sommes comme l’animal sauvage fasciné par les phares d’une voiture en pleine nuit, mais qui décide de rester au milieu de la route… Ces deux gros « yeux » qui lui arrivent dessus lui sont complètement étrangers. Lorsque l’on nous dit que la température au Pôle Nord est supérieure de 12°C à ce qu’elle est habituellement, comme en décembre dernier, nous ne savons absolument pas quoi faire de cette information. Pourtant, lorsque l’on sait ça, il faudrait tout de suite arrêter les gens dans la rue pour leur dire qu’il faut résoudre ce problème à tout prix ! Mais on ne le fait pas, parce que nous ne parvenons pas à nous représenter le problème. L’être humain se rend compte de certaines choses à partir du moment où il les vit dans sa chair. Mais, généralement, il est déjà trop tard.
Propos recueillis par Anthony Laurent, rédacteur en chef / Sciences Critiques.
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