95e anniversaire du Parti Communiste Chinois (1er juillet 2016), par DD & DH

Billet invité.

La Chine célèbre chaque année la date anniversaire de la création du PCC, mais les anniversaires correspondant à des comptes ronds de décennies ou demi-décennies sont fêtés avec plus de faste. Celui-ci a été l’occasion de célébrations particulièrement solennelles. Ce n’est certes pas la première fois que l’événement se situe dans un contexte difficile, mais cette année, la croissance économique marque le pas et son indice est le moins bon que la Chine ait connu depuis son « décollage », la corruption continue à faire gronder les « masses » malgré les retentissants coups d’escopette contre quelques « tigres » offerts en pâture à la vindicte populaire et l’aura du Parti dirigeant a fortement tendance à se diluer.

Le discours de Xi Jinping, dans l’immense amphithéâtre de l’Assemblée Nationale Populaire, a sonné comme une reprise en main. Rappel à l’ordre, serrage de boulons et exhortation à imiter la vertu des grands ancêtres de 1921 ont été les points forts de ce sermon. On y a aussi entendu réaffirmer le cap mis sur la poursuite de la réforme, mais assortie d’une obligatoire relecture actualisée du marxisme permettant la clarification de la notion de « socialisme de marché » où l’on entende sonner le mot « socialisme » aussi fort que celui de « marché ». Simples mots que tout cela, nous dira-t-on. Sans doute, mais en Chine les mots ont encore un sens et assez souvent quelques effets. Parallèlement, d’autres mots d’ordre circulent, qui concernent la sphère intellectuelle : les universités sont invitées de façon pressante à circonscrire en d’étroites limites l’étude des différentes formes d’expression, économiques, philosophiques, sociologiques et politiques de la pensée occidentale. Un cordon sanitaire devra probablement limiter la toujours possible contamination et sans doute faudra-t-il, au sortir de l’amphi de philosophie occidentale, traverser un pédiluve ? Cette directive laisse un peu rêveur quand on sait à quel point les universités américaines distillent d’envies de les rejoindre : les Chinois(e)s représentent toujours le plus fort pourcentage d’étudiants étrangers aux USA et les enfants de la « caste » au pouvoir font tous partie de ce pourcentage !

Comment lire ce recadrage du Parti et cette peur des « herbes vénéneuses » importées d’Occident ? Comment interpréter ce coup de poing sur la table et cet aveu de faiblesse ? En fait, l’explication en est assez simple. C’est Marc Elvin, professeur émérite de l’Université de Canberra en histoire de la Chine, qui nous semble éclairer le mieux cet aspect du fonctionnement du pouvoir en Chine en soulignant à quel point le pouvoir a toujours reposé sur une « structure de prestige« , qu’il définit comme « la création et le maintien d’une représentation qui inspire respect et crainte à ceux qui sont en contact avec elle. » C’est le cas du « mandat du Ciel » sous l’Empire. Marc Elvin propose de considérer qu’on peut toujours appliquer le même schéma de prestige à la Chine d’aujourd’hui sous la forme d’un « mandat de l’Histoire » (confié au PCC). L’ennui avec ce genre de garant du prestige, c’est qu’on l’a ou qu’on ne l’a pas (ou plus). On ne peut pas l’avoir « un peu » et il y a toujours du danger à le laisser s’émousser. Qu’on nous pardonne une longue citation de cet universitaire (il s’agit d’un extrait d’une contribution — en français traduit de l’anglais — à un symposium organisé par la revue « Sixiang » (= « Réflexion ») de Taipei en 2011) qui nous paraît livrer la clef d’une compréhension du pouvoir tel qu’il ne saurait être conçu autrement pour le moment en Chine :

« Les structures de prestige sont relativement rigides, et le seul fait d’y procéder ouvertement à un changement risque de suggérer l’idée d’une erreur antérieure qui écorne la représentation d’ensemble. En fait, tant que les apparences sont sauves, ces structures se prêtent à bien des aménagements. Mais quand leur image commence à se dégrader, un processus de réaction positive au changement peut s’accélérer et conduire à un effondrement soudain du régime. Les gens vont très vite prendre le train en marche : d’abord la plupart se refusent à changer d’allégeance, mais à partir du moment où ils estiment qu’un changement décisif est en train de se produire, ils se dépêchent de s’y associer. (…) Dans un système fondé sur le prestige, maintenir les apparences est la clef de la survie pour les gens au pouvoir. Ils refusent la moindre concession, puisqu’il n’y a pas moyen de savoir à quel moment la catastrophe que représente la réaction positive aux changements peut déclencher l’effondrement du système. »

(« Les multiples révolutions chinoises », Mark Elvin, pp.101-122, in La Chine et l’ordre du Monde, ed. Agone, 2013)

Autant dire qu’on est à Zhongnanhai en pleine incertitude de type quantique !

Mais on voit bien comment l’exhortation faite au Parti ce 1er juillet d’exhausser son niveau d’expertise marxiste et sa fidélité aux idéaux des fondateurs est l’avers d’une médaille dont le revers est la peur de tout ce que l’influence idéologique de l’Occident peut contenir de menaces susceptibles d’empêcher la Chine de persévérer dans son être-même !

(à suivre : La menace de 89, les » événements » de la Place Tian An men)

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