CE QUE RÉVÈLE LA CHUTE DE DILMA, par François Leclerc

Billet invité.

Le feuilleton de la chute de Dilma Rousseff n’est pas fini, mais la cause est entendue. Elle est la victime non seulement d’une droite brésilienne revancharde qui veut en finir avec les années Lula, mais aussi des insuffisances et errements de son propre camp.

Le Parti des travailleurs a doublement failli, endossant les habits de la corruption après l’avoir vilipendée, trouvant ses aises dans cet uniforme de la classe politique brésilienne, incapable également de concevoir et de promouvoir un modèle de développement prenant en compte et s’appuyant sur la réalité sociale du Brésil. L’immense espoir suscité par la victoire de Lula s’est peu à peu dissipé, Dilma est arrivée, et la crise des pays émergents a porté le coup fatal à un miracle brésilien prioritairement construit autour du modèle de l’exportation de produits miniers et agricoles dont l’un des grands clients était la Chine.

Le nouveau gouvernement qui vient d’être constitué est à l’image du désastre qui se prépare. Ses membres ont en commun d’être tous des hommes, conservateurs et blancs, et en cela de ne pas refléter la diversité d’une société de 200 millions de Brésiliennes et de Brésiliens, qui ne vont pas pouvoir se reconnaître en lui et ne se font aucune illusion sur leur classe politique.

Parmi les 24 nouveaux ministres, on ne compte pas ceux qui ont à un titre ou à un autre des ennuis avec la justice, illustration d’une crise de régime qui va au-delà de la destitution de Dilma. Les députés et sénateurs qui ont joué un rôle décisif en faveur de son départ forcé, qualifié par elle de coup d’État, sont sans surprise récompensés. La composition du gouvernement, où sont représentés onze partis politiques présents au Congrès, illustre la tentative du nouveau président, Michel Temer, de se donner une majorité parlementaire. Il est donné pour avoir l’oreille de Washington et veut obtenir l’application de mesures d’austérité économique – cette potion universelle – afin de préparer le terrain en attendant la suite des évènements politiques.

Cette assise lui est d’autant plus nécessaire qu’il ne dispose d’aucun capital dans l’opinion publique brésilienne, assimilé à une classe politique d’où aucun représentant n’émerge. Ses membres ont comme principale activité de se faire entre eux des croc en jambe dans la course au pouvoir qui ne fait que commencer, en jouant sur les histoires à rebondissements de la corruption et en s’appuyant sur les méandres d’un système judiciaire à la fiabilité douteuse. Et il n’y a pas de juge de paix au sein de cette Mafia là.

Trois nominations éclairent la composition du nouveau gouvernement. Celle du « Roi du soja » Blairo Maggi, qui est l’un des grands responsables de la déforestation de l’Amazonie. Celle d’Alexandre Moraes, propulsé ministre de la justice après avoir été chef de la sécurité à São Paulo, où il avait sous ses ordres des « escadrons de la mort » responsables de tueries (il aura également la responsabilité des droits de la femme et de l’égalité raciale…) Celle, enfin, de Marcos Pereira, un pasteur représentant le courant réactionnaire de l’Église évangélique, initialement pressenti pour le ministère de la science et finalement nommé à l’industrie en raison des réactions de la communauté scientifique.

La chute de Dilma a une portée qui dépasse les frontières du Brésil. Elle représente la faillite d’une équipe portée par un énorme soutien populaire mais incapable d’engager la société brésilienne dans son ensemble dans une profonde mutation afin de combler la profonde faille qui la traverse. Deux sociétés sont étroitement liées au Brésil et se côtoient quotidiennement tout en vivant séparément. L’une formelle, à l’image trompeuse de nos sociétés dites développées, l’autre informelle et aux marges de L’État.

Les miettes tombant de la table du festin n’y ont rien changé, la croissance économique n’a permis que d’améliorer le sort de couches sociales installées au bas de la grande échelle des classes moyennes, laissant les autres à ses pieds la bouche grande ouverte. La pauvreté a diminué mais les inégalités ont augmenté.

Au Brésil aussi, il est nécessaire de sortir du cadre et de concevoir un nouveau paradigme, et cela ne se fait pas si facilement. L’assistanat dont ont profité ceux d’en-bas n’est pas la solution, malgré les bonnes intentions. La mobilisation de la société informelle et l’adoption d’un modèle de développement reposant sur une autre croissance, celle du bien-être social, a fait défaut. Les conditions en sont toujours réunies dans un pays de 200 millions d’habitants richement doté par la nature. Mais il faut pour cela tourner la page Lula, qui a donné ce qu’il pouvait, au lieu de s’accrocher au pouvoir sans s’engager dans une remise en forme de l’action politique et de son programme.

L’idée qui a prévalu, selon laquelle la société informelle allait progressivement disparaître au profit de l’extension de la société formelle est une idée fausse. Les deux, qui s’interpénètrent, doivent être simultanément mises en question afin de favoriser l’émergence d’une nouvelle société. La démarche est autrement radicale.

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