Billet invité
Allez, je l’avoue, le chapitre intitulé Notre espèce est-elle outillée pour empêcher son extinction ? est de loin mon préféré ! Dès le début Paul Jorion pose le traumatisme fondateur de notre espèce, celui qui nous voit incrédules … découvrir notre mortalité. Et ce qui est à la fois dramatiquement drôle et absolument jouissif, est bien le fait de constater l’incroyable imagination dont nous avons fait preuve tout au long des millénaires, afin de tenter désespérément d’expliquer ou bien d’oublier ce constat tout à fait désagréable !
Des anciens Égyptiens qui passaient leur vie à combattre la mort frontalement, à grands coups de constructions… pharaoniques, aux innombrables croyances ‘prêtes à l’usage’ garanties sans efforts, et qui promettent un ‘ailleurs’ fait d’un éternel plaisir, le descriptif est exhaustif. Mais il débouche sur un double résultat tout à fait lamentable pour les pauvres créatures éphémères que nous sommes : non seulement la première lame, subtile mélange de peur et de stupidité, nous fait souvent crier que Dieu est de notre côté (comprendre : exterminons les infidèles), mais encore la seconde lame, cécité brute de fonderie (comprendre : après moi le déluge), nous empêche-t-elle de nous préoccuper du futur.
Attitude navrante mais néanmoins gérable aux ères pré-atomiques, quand étant peu nombreux, les richesses de la planète nous paraissaient alors infinies. Il en va bien sûr tout autrement aujourd’hui, à l’heure où nous exploitons quasiment les ressources d’une planète et demie par an. Et à moins d’être un politicien professionnel qui selon la délicate, mais néanmoins pertinente remarque de Donald Trump, baise le c.. des transnationales, vous ne pouvez que constater que nous allons connaitre le même sort que les criquets, une fois tous les champs dévorés.
Au moins les criquets ont-ils l’excuse de ne pas comprendre ce qu’ils font, tout en assurant l’année suivante des conditions favorables pour leur descendance. Alors que l’humanité sachant qu’elle ne dispose que d’un seul et unique ‘champ’, la Terre, continue néanmoins à le détruire avec enthousiasme.
C’est le mystère qu’entend percer Paul Jorion dans ce chapitre : comment une espèce aussi ingénieuse que la nôtre, parvient-elle à se placer elle-même au bord de l’extinction ?
Et c’est là que le plaisir de la lecture s’impose. Au contact d’une érudition qui vous fait voyager en compagnie des philosophes, dramaturges et savants, des anciens et des modernes. De Shakespeare à Julian Green, de Platon à Nietzsche, de Freud à Einstein, Paul Jorion sait mettre en perspective les différents savoirs acquis par l’espèce, non pour révéler quelques vérités cachées sur ce que nous appelons Nature ou Réalité, mais plus prosaïquement, plus utilement aussi, pour nous révéler à nous-mêmes.
Mais si ce voyage n’est pas de tout repos – il est même assez brutal, souvent surprenant et jamais ennuyeux -, il n’est pas là pour montrer l’intelligence et l’érudition du guide. Au contraire est-il tout entier au service de la survie de notre curieuse espèce, et c’est bien pourquoi on en ressort à la manière des utilisateurs d’un ‘grand 8’, légèrement décoiffés. Car Paul Jorion nous ouvre d’inédites perspectives en nous mettant la tête à l’envers, en nous plaçant au sommet de vertigineuses descentes vers le néant, ou en nous propulsant à toute vitesse vers les cieux entrevus par les génies.
Et tout comme à bord d’un ‘grand 8’, nous qui avions commencé le chapitre avec les rires un peu trop forts de ceux ‘à qui on ne le fait pas’, descendons curieusement silencieux, l’oreille interne et l’estomac légèrement en désordre. L’espace d’un instant nous avons touché du doigt le drame de l’espèce.
Libre à nous ensuite de tout oublier, de nous oublier.., ou non !
Je suis d’accord avec vous concernant la répartition des électorats pour l’une et l’autre candidat. A cela je rajouterais que…