Billet invité.
Le maillon faible du système financier mondial est, dans le langage financier courant et de l’avis-même de tous les banquiers sérieux, le « risque de contrepartie ». Le risque de contrepartie est simplement la possibilité qu’une des parties à un contrat financier en cours soit défaillante dans son obligation de payer à l’occurrence des événements où elle est engagée au bénéfice de toutes les parties au contrat. La sûreté des contreparties est un élément fondateur du prix des actifs financiers. Les défaillances possibles des parties à un contrat financier doivent être intégrées dans le prix affiché du contrat sous peine d’afficher auprès de ses créanciers un crédit sans valeur réelle.
Ce sont les doutes sur le prix réel des actifs financiers par rapport à leur prix nominalement comptabilisé dans les actifs nets qui sont à l’origine des paniques bancaires. La faillite de Lehman Brothers a été provoquée par l’impossibilité de prouver le prix des actifs disponibles pour faire face aux paiements à court terme. L’impossibilité du calcul précis du risque de contrepartie porté par les banques dans le système libéral a son origine dans la propriété anonyme. Le capitalisme libéral autorise la détention d’actifs à des entités fictionnelles dont les responsables peuvent rester cachés (trusts et fonds) ou inatteignables par un juge public là où sont contractées les dettes (détention du capital par des non-résidents).
La mesure du risque de contrepartie est devenue totalement arbitraire dans la mondialisation financière où il est possible d’emprunter n’importe quelle monnaie en-dehors de la souveraineté politique où elle est émise. Les emprunteurs non-résidents d’une monnaie peuvent imposer leur propre droit aux prêteurs et au système étatique et judiciaire qui les protège. Il en résulte que les entreprises multinationales, les banques et les États eux-mêmes sont exonérés de la loi souveraine et de leur responsabilité devant un pouvoir judiciaire et fiscal officiel d’État.
Concrètement, dans le système actuel de libre circulation du capital en n’importe quelle monnaie au-dessus des souverainetés politiques, les banques sont radicalement incapables de savoir à qui elles prêtent vraiment. Le calcul du risque de contrepartie et la couverture par du capital bancaire est absolument improbable quand il est impossible de dire avec précision qui est engagé, selon quel droit et avec quels actifs dans le remboursement des dettes. Toutes les règles négociées et édictées sous l’égide du Comité de Bâle sont livrées à l’interprétation libre des banques. Les autorités publiques de contrôle bancaire n’ont pas d’autres informations que celles fournies par les banques pour juger de l’exhaustivité, de la complétude et de la sincérité des évaluations du risque de contrepartie.
Si la réglementation internationale du risque de contrepartie était rationnelle et sincère, elle imposerait une identification centrale unique de toutes les contreparties engagées dans des contrats financiers internationaux. Chaque État, chaque banque et chaque entreprise multinationale, devrait avoir une identité financière unique. Tout contrat entre des emprunteurs internationaux devrait être identifié dans une banque de dépôt centrale afin que toutes les solidarités entre États, banques et entreprises soient consolidables et objectivement appréciables sous l’angle du risque de contrepartie.
L’absence d’un dépositaire central dans le système financier actuel fait qu’une part significative de la dette mondiale ne correspond à aucune production de richesse en cours chez certains grands emprunteurs bancaires et étatiques. A l’échelle du monde, la dette déclarée dans les bilans bancaires croît beaucoup plus vite que l’accumulation de capital par la croissance économique réelle. La divergence est parfaitement visible depuis le krach de 2007 sans même chercher à mesurer la dette invisible dans la banque hors-sol des paradis fiscaux. La conséquence inéluctable du risque de contrepartie non objectivement mesurable est la faillite prochaine de grands fonds de pension ou d’assurance qui sont créanciers nets des marchés internationaux. Les classes moyennes des pays riches ou nouvellement riches vont perdre leurs droits et leurs économies ou payer plus d’impôts pour que les banques puissent dissimuler les pertes de contrepartie sur leurs puissants débiteurs privilégiés.
Oui, le canal de Panama est évidemment un des plus hauts points stratégiques que tenteront de s’arracher les marchands qui…