La bonne santé des marchés boursiers : la leçon donnée par la Chine
La Bourse chinoise n’est pas à la fête : elle avait perdu 40% au cours de l’été dernier, avait regagné ensuite 7%, avant de replonger de 20% au début du mois de janvier.
Durant les plus récents bouleversements, M. Xiao Gang, régulateur du marché boursier, a conseillé aux intervenants de « se blottir les uns contre les autres pour la chaleur ». En citant ce proverbe chinois, il les incitait à faire preuve de sens civique pour assurer la bonne santé du marché. En vendant dans la panique, les intervenants faisaient preuve, disait-il, d’« immaturité ». Sur l’Internet, un commentateur s’interrogeait : « Appelle-t-on « investisseurs matures » ceux qui ne vendent pas quand le cours baisse et n’achètent pas quand il monte ? »
Pendant ce temps et dans un bel ensemble, les plus grandes firmes chinoises diffusaient des communiqués de presse assurant que leurs principaux actionnaires n’avaient aucune intention de vendre. Pour faire bonne mesure, de petites firmes firent ensuite de même. Certains y virent une manière de contrer la rumeur prétendant que c’était le gouvernement qui obligeait ces firmes à cet exercice de relations publiques, un soupçon né du fait que les différents communiqués se ressemblaient étrangement.
Plus inquiétant encore, des personnalités du monde financier disparaissaient pour réapparaître ensuite à la télévision, en garde à vue, et regrettant amèrement leurs propos « défaitistes » antérieurs ou les « fausses rumeurs » qu’ils avaient répandues de manière irresponsable, comme d’avoir rapporté que le régulateur tentait de mettre au point pour le gouvernement une alternative aux achats massifs d’actions. Tout cela constituait un salutaire rappel du fait que, toute capitaliste qu’elle soit devenue, la Chine continue d’être régie par un parti communiste n’ayant rien perdu de ses mauvaises habitudes staliniennes.
La perplexité des actionnaires chinois devant les exigences contradictoires que sont, d’un côté, s’assurer un profit à titre personnel et de l’autre, s’en abstenir en temps de crise pour le bien de la nation, rappelle le tollé des actionnaires japonais a l’époque où était introduite dans le pays la répression du délit d’initié : « Quelle aberration, s’exclamait-on, de chercher à interdire à un investisseur d’utiliser toute l’information dont il dispose ! »
Les bouleversements récents en Chine soulèvent néanmoins d’excellentes questions, qui sont celles des limitations de la main invisible d’Adam Smith. La bonne santé d’un marché boursier requiert en effet comme une nécessité, le maintien de son existence même. Comme l’a bien mis en évidence la crise des subprimes, si l’« intérêt égoïste du boulanger, du marchand de bière et du boucher » engendre en temps ordinaire une saine émulation contribuant au bien general, il peut aussi, en temps de crise, inciter de gros intervenants à chercher à se refaire en organisant des paris sur l’effondrement même d’un marché particulier, voire du système financier dans son ensemble. Au cas où on l’aurait déjà oublié, l’excellent film The Big Short, en ce moment sur les écrans, en offre un excellent rappel. Le produit financier appelé CDO (Collateralized Debt Obligations) synthétique – héros du film – permettait en effet de parier sur l’effondrement du secteur immobilier et par la même occasion sur le marché des titres adossés à des prêts au logement, provoquant les effets de contagion désastreux que l’on a pu constater en 2008.
Comment assurer alors la survie des marchés boursiers par gros temps ? Certainement pas en demandant aux intervenants d’oublier temporairement et par « esprit civique », la logique de profit qui les motive en temps ordinaire : ceux qui le feraient y perdraient leurs plumes au profit de ceux qui continueraient de faire prévaloir imperturbablement leur intérêt égoïste. Mais en assurant plutôt l’existence d’un cadre robuste où le régulateur n’est pas « assoupi au volant » pour reprendre l’expression qui fit florès quand on analysa en 2009 les événements dramatiques qui venaient de se produire. Assermenter les financiers comme c’est déjà le cas aux Pays-Bas et comme le recommande maintenant le rapport du Haut comité pour l’avenir du secteur financier en Belgique déposé le 13 janvier, constitue peut-être le meilleur moyen de veiller à l’intérêt général en maintenant en permanence sur les rails le comportement des acteurs des marchés boursiers.
Il y a les conditions favorisantes mais il faut aussi les personnages clés : ceux auxquels une multitude s’identifie, rendant…