Billet invité
« Je ne vois pas d’objection dans la salle. Je déclare l’accord de Paris pour le climat adopté. […] C’est un petit marteau, mais je pense qu’il peut faire de grandes choses ! », Laurent Fabius, COP21, Paris, 12 décembre 2015 vers 19h30, sous un tonnerre d’applaudissements…
Dont acte [1] ! Les ONG ne se seront donc pas mises en colère ce jour là !
Peut-être devrions-nous nous rappeler au bon souvenir ce passage important du discours de l’écrivaine indienne Arundhati Roy [2], en août 2004 [3], juste avant la sortie de son livre, An Ordinary Person’s Guide to Empire, aux éditions South End Press, Septembre 2004, 156 pp. :
Force est de constater en effet que nos ONG ne représentent en aucun cas cette résistance dont nous aurions pourtant grand besoin. Comprenons-nous bien afin d’éviter tout malentendu, ce qui va suivre ne constitue en aucun cas un plaidoyer contre le développement durable, loin de là. Le développement durable peut être une bonne chose en soi dès lors qu’il est pensé collectivement et ne sert pas uniquement les intérêts de quelques uns qui cherchent à s’exonérer de toute responsabilité tout en garantissant leur niveau de vie, ceux-là même qui cupidement polluent nos sols, notre air et notre eau depuis des décennies, et pas seulement. N’oublions pas que ce sont eux qui le plus souvent disposent des moyens suffisants leur permettant de financer les ONG. Car ce qui vient de se produire à l’issue de la COP21 est d’une gravité sans nom, une manipulation qui non seulement place ce seul développement durable, cette nouvelle manne financière, au cœur du dispositif, mais qui en plus supprime tout espoir réaliste d’une stabilisation, voire d’une réduction progressive, du réchauffement climatique en cours. Ce 12 décembre 2015, l’heure n’était donc plus à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, objet de toute la propagande médiatique qui précéda/introduisit/couvrit/clôtura cette COP21, mais bien à l’adaptation aux changements/emballements climatiques en cours. Et cette adaptation se fera par le biais du développement durable.
Le temps d’une prise de recul suffisante aura été nécessaire pour pouvoir analyser tout cela calmement, bien avant de vous exposer tout ce qui va suivre. Car comment pouvions-nous croire, voire espérer, qu’en 2015 un sursaut de l’Humanité puisse être encore possible, alors que dans le même temps, nous évoluons dans un Monde qui demeure indifférent à tout, se laissant déborder par :
– l’extraction annuelle de quelques 15 Gt (milliards de tonnes) de roche,
– le pompage annuel de quelques 14 milliards de barils de pétrole,
– la production annuelle de plus de 70 millions de véhicules fonctionnant à l’énergie fossile,
– le développement de la déforestation, des OGM, des cultures intensives et des élevages en batterie,
– l’émission annuelle dans l’atmosphère de près de 55 Gt de CO2 eq (équivalent dioxyde de carbone),
– le déversement annuel dans les mers et les océans d’au moins 300 Mt (millions de tonnes) de produits toxiques,
– l’accroissement sans fin du 7ème continent,
– l’amincissement de la couche d’ozone et la formation saisonnière d’un trou de plus de 25 Mkm² (millions de kilomètres carrés) situé juste au dessus de l’Antarctique,
– l’élévation de plus en plus rapide de l’anomalie de température moyenne globale,
– les fontes saisonnières records de la banquise arctique et de la calotte glacière du Groenland,
– le refroidissement de la région nord de l’océan Atlantique,
– la formation dans l’est de l’océan Pacifique d’un phénomène El Niño reconnu historique,
– l’apparition courant octobre dans cette même région d’un phénomène océanique qui n’avait encore jamais été observé : le Blob,
– l’élévation du niveau des océans et les risques pour l’ensemble des populations côtières,
– l’explosion démographique de l’Humanité à plus de 7,3 milliards d’individus,
– la croissance démographique de plus de 80 millions d’individus par an,
– l’extinction de quelques 832 espèces vivantes,
– la réduction de moitié des populations de plus de 1.200 espèces marines,
– la menace d’extinction de près de 22.000 espèces vivantes parmi plus de 76.000 espèces vivantes d’ores et déjà répertoriées,
– le décès de quelques 2,6 millions de personnes par an, uniquement par manque d’eau,
– l’exposition à l’eau non potable de quelques 3,5 milliards de personnes dans le Monde,
– l’augmentation des flux des réfugiés de guerre, économiques et/ou climatiques,
– l’augmentation du chômage de masse au sein des pays développés,
– les dépenses annuelles de près de 400 milliards de dollars pour la drogue,
– l’augmentation incessante des richesses accumulées par les 20% les plus riches,
– la possession d’environ 50% des richesses de la planète par les 5% les plus riches des 20% les plus riches (les fameux 1%),
– etc.
Rq. la quasi totalité de ces données ont d’ores et déjà fait l’objet de développements approfondis lors de précédents billets [4] [5] [6] [7]…
Appelons un chat un chat. Cette COP21 est un échec total. Une dépense d’énergie et d’argent inutile au regard de la gravité de notre situation actuelle. Crier sur tous les toits que cette conférence internationale des Parties vient de se clôturer ce samedi 12 décembre 2015 sur un accord historique, revient à crier sur ces mêmes toits la réouverture prochaine des jeux du Colisée ; et quels jeux ! Une fois encore, tout cela n’est que de l’esbroufe, « une fraude » [8] pour reprendre les termes employés par le Professeur James Hansen [9] qui fut l’un des premiers scientifiques à nous alerter dès 1988 quant aux risques de changements climatiques majeurs, du fait de l’augmentation de nos émissions de gaz à effet de serre. On amuse la plèbe, on maquille l’échec en privilégiant la langue de bois alors même que des populations entières sont menacées de submersion, d’inondation et/ou de dévastation, du fait de l’emballement climatique en cours, auquel personne ne veut répondre par la seule action appropriée qui soit, à savoir l’arrêt total et définitif de nos consommations en énergie fossile.
James Hansen préconisait quant à lui une taxation à la tonne dès l’extraction, sur la base d’une taxe fixe de 15$ la tonne (environ 7,5 barils, soit 2$ le baril seulement) qui serait suivie d’une augmentation annuelle de 10$ la tonne [8]. Il n’y avait là pas de quoi fouetter un chat. Cela semblait même dérisoire au regard de la situation actuelle, alors que dans le même temps le prix du baril ne cesse de baisser du fait de la surproduction mondiale et de l’augmentation des stocks [10]. Eh bien malgré cela, même ce type de mesure n’a pas été retenue dans le cadre du financement de la lutte, voire de l’adaptation, aux changements climatiques. Finalement, à force de vouloir chercher des modalités de transition énergétique, non seulement nous perdons un temps extrêmement précieux, notamment vis à vis des populations les plus vulnérables, mais en plus de cela nous n’obtenons aucun des résultats attendus…
Il faut reconnaître aux lobbies leur capacité sans pareil en terme de séduction/soudoiement des climatosceptiques et des ONG. Avant même que ne se tienne cette COP21 à Paris, les Républicains du Sénat américain avaient d’ores et déjà averti qu’ils mettraient tout en œuvre pour faire échouer l’ensemble des négociations, voire au delà [11]. Le président américain Barack Obama ayant pris très au sérieux cet avertissement un an avant la prochaine élection présidentielle, ordonna à la dernière minute à son bataillon de juristes de préférer le conditionnel au présent lors de la rédaction de l’accord définitif [1], sans que personne, ni même Al Gore côté américain, ne leva le petit doigt pour tenter de s’y opposer ; CQFD, lors de toute négociation, il faut être capable d’avoir son adversaire à l’usure et pour ça, les américains sont très forts : « Yes we can ! »… En attendant, les nouveaux lobbies autoproclamés du développement durable se frottent les mains pour avoir réussi à détourner à leur seul profit, ce qui devait devenir à terme l’une des solutions au service du bien commun.
Ah ça, pour ce qui est de savoir applaudir tout sourire crispé, ça par contre nos élites sont sans conteste les champions du Monde ! Ainsi, jusqu’à la dernière heure des négociations, ce qui devait être avant tout un accord contraignant pour l’ensemble des 195 chefs d’États, selon les vœux de tous, notamment ceux de Nicolas Hulot, n’est devenu en réalité, sous l’action de lobbies patentés, qu’une suite de promesses sans avenir, chacun défendant ici ou là ses propres intérêts, comme nous allons le voir un peu plus en détail.
« Chefs d’État, soyez à la hauteur. Entrez dans l’histoire. Osez ! », Nicolas Hulot, OSONS ! Plaidoyer d’un homme libre, aux éditions Les Liens qui Libèrent, octobre 2015, 94 pp.
Ah ça, pour ce qui est d’oser, ils ont osé, pas dans le sens espéré, mais en reculant sur la dernière ligne droite ! Aussi, il faudrait être dupe pour reconnaître un quelconque succès à l’issue de cette conférence de Paris, à la communication hyperactive et après une relecture attentive de l’accord définitif [12] dont voici quelques interprétations collectées ça et là :
– l’article 2 (a) par exemple : qui vise l’objectif d’une anomalie de température moyenne globale plafonnée à 2°C en dépit d’une allusion écrite au conditionnel, quant à un abaissement de ce plafond à 1,5°C pouvant réduire « sensiblement » les risques et les impacts climatiques,
– l’article 2 (b) : qui vise à épargner les lobbies du secteur agroalimentaire,
– l’article 2 (c) : qui vise l’objectif d’une évolution de nos sociétés en vue d’une adaptation aux changements climatiques que l’on ne cherche même plus à éviter,
– l’article 4 : qui vise l’objectif d’un plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre jusqu’en 2050, puis d’une réduction de ce plafond jusqu’en 2100, les pays développés n’étant pas obligés de poursuivre leur objectif de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre,
– l’article 5 : qui n’oblige pas les Parties à préserver, voire à renforcer, leurs forêts,
– l’article 6 : qui fixe les modalités d’autorisation et de promotion des méthodes d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, et du développement durable, sachant qu’une part (non précisée) seulement des fonds issus de ces activités couvrira les dépenses administratives, et permettra d’aider les pays en voie de développement les plus vulnérables,
– l’article 7 : qui acte le fait qu’une adaptation aux changements climatiques via le développement durable est inéluctable,
– l’article 8 : qui acte le fait que le développement durable est la seule solution pour éviter et réduire au minimum les pertes et les préjudices, tout en facilitant l’accès à des dispositifs d’assurance-dommages et à une mutualisation des risques,
– l’article 10 : qui fixe les modalités de financement, de mise au point et de transfert technologique, dans le cadre de l’atténuation et de l’adaptation,
– l’article 11 : qui suggère une implication des Parties au renforcement des capacités d’atténuation et d’adaptation des pays en voie de développement (éducation, formation, sensibilisation, communication en temps voulu, etc.)
– l’article 13 : qui fixe les modalités de supervision des actions d’atténuation et d’adaptation menées par les Parties,
– l’article 15 : qui fixe les modalités de promotion du respect de l’Accord qui ne soient ni accusatoires, ni punitives,
– l’article 20 : qui fixe la date limite de signature de l’Accord au 21 avril 2017, puis d’adhésion au delà de cette date, sans toutefois en préciser la limite…
– l’article 21 : qui permet aux principaux pays pollueurs représentant au moins 45% du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre, de retarder s’ils le souhaitent l’entrée en vigueur de l’Accord, sachant que le Top5 (Chine, USA, Inde, Russie et Japon) totalise déjà à lui tout seul un score record d’émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 19Gt/an,
– l’article 27 : qui ne prend aucun risque en interdisant toute réserve à un Accord d’ores et déjà rédigé le plus souvent au conditionnel,
– l’article 28 : qui fixe les modalités de dénonciation de l’Accord par une Partie…
« Mais mon Dieu ! Qu’ils se réveillent ! », pour reprendre ici, mais en la sortant de son contexte bien évidemment, l’exclamation très remarquée de Xavier Bertrand lors de son passage sur France 2 ce lundi 14 décembre 2015…
Ça, c’est ce que l’on appelle un Accord contraignant en effet ! Dit autrement, atténuation des émissions de gaz à effet de serre : peut-être. Adaptation aux changements climatiques via le développement durable : sans aucun doute ! Bravo les lobbies ! Aussi, qu’on se le dise sans attendre, si nous voulons réellement changer de système afin de pouvoir renoncer rapidement à l’usage des énergies fossiles, et mettre un coup d’arrêt définitif au laxisme politique planétaire -au service de l’ultralibéralisme- vis à vis de cette question cruciale, alors cela ne pourra se faire que par une prise de conscience collective des populations originaires de tous les continents (7ème continent mis à part, bien évidemment), cette prise de conscience collective pouvant probablement provenir d’un choc climatique majeur ; El Niño 2015-2016 ? A défaut d’un tel changement, les pays dits développés ne devront pas s’attendre à une quelconque inversion de tendance, voire à une diminution du flux des réfugiés, du fait notamment d’une augmentation incessante du flux des réfugiés climatiques qui ne pourra aller que crescendo dans de telles conditions.
En outre, certaines nouvelles études, notamment celle de James Hansen [13], font état d’un risque majeur d’élévation du niveau des océans bien plus important (5 m) que celui indiqué dans le dernier rapport du GIEC à l’horizon 2100 (1 m) [14] et ayant servi de support de référence lors de la COP21. Si de telles études s’avéraient vérifiées, il s’en suivrait des conséquences catastrophiques à moyen terme pour l’ensemble des populations côtières les plus vulnérables, sans parler des conséquences économiques du fait de la destruction par les eaux de parcs immobiliers entiers, comme cela semble déjà être le cas en Floride suite aux récentes inondations [15]. Il devient donc de plus en plus urgent que la population puisse enfin se saisir de ce débat public important, afin qu’elle puisse s’approprier au plus vite ces questions relatives à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre d’une part, et à l’adaptation aux changements climatiques d’autre part. L’une n’allant pas sans l’autre bien évidemment, au regard de notre situation actuelle.
En attendant ce changement, ce qui semble évident à ce jour, c’est qu’une telle prise de conscience collective n’est toujours pas pour maintenant, tant il apparaît comme paradoxal lorsque nous prenons suffisamment de recul sur tout ce qui vient de se jouer à Paris, qu’en dépit des 75% des français se disant conscients bien avant l’ouverture de la COP21, que l’ensemble des actions menées par la France pour lutter contre le réchauffement climatique n’étaient tout simplement pas suffisantes. Aucun mouvement de contestation d’ampleur nationale, au retentissement international, n’a pu voir le jour tout au long de ces négociations et venir gentiment/pacifiquement, faire pression sur l’ensemble des 195 chefs d’États qui étaient présents à Paris afin qu’ils puissent prendre les engagements appropriés, plutôt que de défendre de manière incontestable les seuls intérêts de nouveaux lobbies autoproclamés du développement durable ; il va sans dire que l’état d’Urgence actuellement en vigueur dans notre pays, a dû pleinement jouer son rôle en ce sens…
Il va donc sans doute falloir renoncer aux dispositifs habituels permettant d’organiser des pétitions qui, seules, ne permettraient pas dans ces conditions, une renégociation autour de ces questions. D’autant qu’il faut au préalable exposer/expliquer la situation à l’ensemble d’une population majoritairement conditionnée à la propagande médiatique des dits lobbies !
Peut-être faudrait-il dans un premier temps envisager la préparation et l’organisation de conférences indépendantes autour de ces questions, puis dans un second temps, aborder une réflexion de fond quant à la faisabilité d’une initiative de type référendum ?
… à méditer de toute urgence.
***
[1] Isabelle Hanne, COP21 : un conditionnel, un marteau et beaucoup d’émotion, Libération, 12/12/2015.
[2] Arundhati Roy, Wikipédia, L’encyclopédie libre, 06/09/2015.
[3] Arundhati Roy, Book Discussion on An Ordinary Person’s Guide to Empire, C-SPAN, 16/08/2004.
[4] 1 – BILAN CHIMIQUE : des centaines de millions de tonnes de produits toxiques pour quelques pépites !, par Philippe Soubeyrand.
[5] 2 – BILAN BIOLOGIQUE : l’Humanité orgueilleuse ignore tout de la biosphère terrestre !, par Philippe Soubeyrand.
[6] 3 – BILAN CLIMATIQUE : température, cryosphère, Gulf Stream, El Niño et malgré cela, nous ne sommes toujours pas prêts !, par Philippe Soubeyrand.
[7] ETAT D’URGENCE : crise systémique globale, emballement climatique, Atlantique Nord vs El Niño, COP21 et/ou Loi de Puisseguin… Regardons ce « soliton » en face !, par Philippe Soubeyrand.
[8] Olivier Milman, James Hansen, father of climate change awareness, calls Paris talks ‘a fraud’, the guardian, 12/12/2015.
[9] James E. Hansen, Wikipédia, L’encyclopédie libre, 13/12/2015.
[10] Fabrice Nodé-Langlois, Au plus bas depuis onze ans, le prix du pétrole peut encore baisser, Le Figaro, 14/12/2015.
[11] Samantha Page, Senate Republicans Just Promised To Undermine The Paris Climate Negotiations, Think Progress, 19/11/2015.
[12] L’Accord de la COP21.
[13] James Hansen et al., Ice melt, sea level rise and superstorms, ACPD, 15, 20059-20179, 2015.
[14] 5ème rapport du GIEC.
[15] La Floride inquiète des prix de l’immobilier après les inondations, Romandie avec AFP,
@Mango Cette série est née sous l’impulsion d’impératifs simples et quelque peu baroques que n’auraient pas forcément appréciés les adeptes…