Billet invité
Ce sont les derniers mots de Valérie Pécresse, lors de son débat avec Paul Jorion, sur France Inter : « pour un tracé d’autoroute, vous avez la moitié de la population qui habite dans le quartier a. qui veut que ça passe dans le quartier b. ; et ceux qui habitent le quartier b., qui veulent que ça passe dans le quartier a. À un moment, le politique doit décider. »
Autrement dit : qui ne veut pas d’autoroute chez soi, en veut forcément chez les autres ; comme si l’environnement se divisait en cellules isolées, étanches aux pollutions des compartiments voisins. Un peu étonnant d’une ministre de la recherche, moins de la part de l’ancienne de HEC : le monde se réduit à des rivalités. Hélas il ne se voit pas que les autres candidats à la présidence d’Ile de France pensent autrement.
C’est toujours la même accusation, les conservateurs américains lui ont donné un nom : NYMBY : Not In My BackYard, pas dans ma cour arrière, sous entendu : ça ne vous dérangerait pas chez le voisin. Il existerait donc un devoir de polluer, d’accepter la continuation des pollutions. Un consensus pour de nouvelles autoroutes en France, alors que les enquêtes publiques disent le le contraire et que le pays en possède 11 000 km, selon Hervé Kempf pour Le Monde, soit le plus long réseau européen. Mais les liaisons rentables existent déjà. L’investissement dans l’autoroute, naguère considéré par la Caisse des Dépôts comme un placement de père de famille, ne paye plus.
Le dernier tronçon inauguré, de Pau jusqu’à Langon, au milieu de nulle part, en supprimant une nature propice aux loutres, visons, tortues cistudes, dans des zones tenues vitales par les sciences, pour la ressource en eau, pour l’air, pour la santé publique, le paysage et par conséquent l’économie, peine à se rembourser. : 125 millions de dettes cumulées depuis 2010 selon Sud-Ouest, 35 millions par an; mais le préfet des Landes ayant interdit les routes nationales aux poids lourds, ça s’arrange; le trafic augmenteenfin. Et d’annoncer dans une contorsion rare un exercice « en équilibre depuis le 1er janvier 2015 », qui laissera tout de même « 1 million de déficit » au 1er janvier suivant.
Les camions chassés de la nationale et qui ne veulent toujours pas payer foncent désormais sur les petites routes, râlent les commentateurs, au bas de cet article, sur le site du journal. On n’accepte plus de sesacrifier pour des monstres de béton. On protège sa base de vie. Dans les années 50, on pouvait comprendre, la France possédait 80 km d’autoroutes, l’Allemagne 2000 km, cadeau d’Hitler. Aujourd’hui, quand Manuel Vals décide un plan de relance autoroutier de 4 milliards, financé par les exploitants dont il prolonge les concessions, la fédération France Nature Environnement, désespérée de faire entendre les scientifiques, calcule que cela revient pour les opérateurs à prêter à 10% par an. L’union Européenne tousse devant ces subventions déguisées. Et l’Autorité de la concurrence sort un rapport extrêmement méchant.
Autre fait technique remarquable, les nazis avaient rectifié une bonne partie du Rhin entre deux quais de béton. Résultat, à la fin du siècle dernier, le fleuve coulait deux fois plus vite qu’au début du siècle, accélérant par là les vagues dans les inondations. Ceci bien sûr creusait le lit, en outre raviné par l’enlèvement des sables et graviers, abaissait le cours d’eau et la nappe phréatique qui le prolonge sur les côtés. Un barrage a cédé, au cours des années 80. L’Allemagne fédérale a décidé de tout laisser au fond, dans l’espoir de ralentir le flux. Elle a même fondé un Institut des Plaines alluviales à Darmstadt, pour concevoir des méandres et des zones d’infiltration.
Au centre de la France, au même moment, on planifiait une série de barrages sur le bassin de la Loire, déjàbien abaissé par les travaux précédents, au point que le vieux pont de Tours avait lâché, subitement, minépar en dessous. Des Allemands venaient en vacances soutenir les opposants : « on vient à cause du paysage; c’est le fleuve le plus sauvage d’Europe; ne faîtes pas les mêmes bêtises que nous ». Et cette bataille là fut gagnée, suite à de grandes manifs, l’été 1988. « Ni ici, ni ailleurs » voilà lev vrai slogan.
Aujourd’hui les Pays Bas détruisent les digues qui enserraient les bouches des fleuves, pour qu’ils s’étalent et absorbent la montée des mers. EDF compte les poissons dans les lacs de barrages d’Auvergne, chose impensable il a trente ans : les ingénieurs des ponts, qui dessinaient les barrages, ne savaient pas un mot de biologie. Prévoir toujours plus de béton c’est penser comme les années 50, ou bien se croire en Chine, c’est se tromper d’espace-temps.
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