Laissez venir à moi les petits enfants, par Roberto Boulant

Billet invité.

Leur innocence, leur fragilité physique et émotionnelle, font hélas que les enfants sont des victimes de choix pour toutes sortes de prédateurs. C’est pourquoi cela suscite immédiatement des réactions de colère et d’indignation lorsqu’ils sont abusés sexuellement, réduits au rôle de travailleurs-esclaves ou d’enfants-soldats, utilisés comme kamikazes ou bien comme boucliers humains. Comment pourrait-il en être autrement ? L’enfance est le symbole même de l’innocence, celle que tout adulte quel que soit sa culture, se doit de protéger à tout prix ! Et qui d’ailleurs, ne se souvient pas des 276 jeunes nigérianes enlevées par le groupe Boko Haram, et de la campagne mondiale « Bring Back Our Girls » (« rendez-nous nos filles ») qui s’en était suivie ?

Voilà pour la théorie.

Dans la pratique, comment dire ?… la règle peut connaître de nombreuses exceptions. La principale étant – ô surprise – que l’indignation se fait beaucoup plus discrète lorsqu’elle se heurte au mur de l’argent. Car voyez-vous, s’il existe de méchants islamistes comme ceux de la secte Boko Haram, ceux dont les exactions déclenchent une campagne mondiale de protestation, il existe aussi de gentils islamistes. Ceux dont le sous-sol regorge de pétrole, et qui par conséquent peuvent se permettre d’enlever  200 jeunes Mauritaniennes pour les réduire tranquillement en esclavage, tant ils savent pouvoir compter sur le silence assourdissant de nos gouvernants.

Petite et discrète exception à la rectitude morale du Pays-des-Droits-de-l’Homme, et qui porte le doux nom de Riyalpolitik (en référence au Riyal saoudien). Nous n’allons tout de même pas nous fâcher pour si peu, avec des gens qui ont le bon goût de nous acheter autant d’armes, n’est-ce pas ?

Et puis si tout cela est moralement discutable, nous n’allons pas bouleverser les très fragiles équilibres régionaux, en déstabilisant un de nos principaux fournisseurs en gaz et pétrole. Un peu de réalisme s’il vous plait. Pensez aux conséquences sur notre croissance ! Non, non, tout cela est certes fort désagréable, mais après tout au vu des enjeux, ça n’est qu’un moindre mal !
Comme disait Hannah Arendt, c’est fou comme les gens qui choisissent le moindre mal, oublient vite qu’ils ont choisi le mal…

Et sous nos latitudes civilisées, qu’en est-il de la protection des enfants ? Eh bien se réjouira-t-on, il existe tout un corpus de lois et de jurisprudences – ainsi que bon nombre d’associations – pour défendre l’enfance en danger. Ainsi, toutes les abominations citées plus haut, tombent-elles sous le coup de lourdes sanctions pénales. L’Observatoire national de l’action sociale distingue même « les enfants en risque » des « enfants maltraités ». L’enfant en risque étant défini comme celui qui connaît des conditions d’existence qui risquent de mettre en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation, ou son entretien, mais qui n’est pour autant pas maltraité.

Bien. Parfait ! Mais dans la réalité ?

Mêmes causes, mêmes effets bien sûr. Même si sous nos climats, et face à des états de droit constitués, les enfants sont agressés de manière plus subtile. Mais toujours dans le même but : en faire des esclaves ! Ou pour le dire plus poliment, de futurs consommateurs tellement décérébrés, qu’ils applaudiront à leur propre soumission, tant ils la trouveront normale et allant de soi.

Un procédé vieux comme le Monde : réduisez un adulte en esclavage, et il n’aura de cesse que de se libérer. Éduquez un enfant en tant qu’esclave, et l’adulte qu’il deviendra considèrera sa condition comme naturelle.

Et un grave exemple questionnant les notions mêmes de sécurité, d’éducation et de moralité pour les enfants, vient d’ailleurs de nous être donné par la société Compte-Nickel. Celle-ci permet à des enfants dès l’âge de 12 ans, de pouvoir disposer d’un compte chez certains buralistes et d’y effectuer des retraits à l’aide d’une carte. Ouvert en 5 minutes, rapide, simple et économique comme dit leur publicité.

Rapide et simple, oui certainement. Économique, certainement pas. La cotisation annuelle est de 20 euros, à laquelle s’ajoute une commission de 2% sur toutes les sommes déposées chez un buraliste. Ainsi que des retraits facturés de 0,50€ à 1€ suivant le lieu…

Et les sommes en jeu sont conséquentes ! En 2009, d’après une enquête CSA-Crédit Agricole, on estimait à 1,62 milliard d’euros le volume de l’épargne des enfants de 6 à 15 ans et à 711 millions, la somme distribuée chaque année (en argent de poche, cadeaux d’anniversaire ou de Noël). Comment les banques pouvaient-elles ne pas s’intéresser à un tel pactole ?

Mais il y a plus insidieux. Des chercheurs ont mis en évidence ce que tout un chacun pouvait déjà soupçonner : il est plus facile de dépenser son argent en payant par carte, qu’en payant en liquide (Monopoly Money : The Effect of Payment Coupling and Form on Spending Behavior. P. Raghubir, J. Srivastava. Journal of Experimental Psychology: Applied, Vol. 14, No 3.). Une caractéristique appelée « effet Monopoly », et qui montre que les paiements par cartes tendent à être traités comme de l’argent ‘factice’, plus facilement dépensé. Inutile de préciser les risques d’un tel effet sur les cerveaux immatures des enfants.

Si vous rajoutez à cela, l’extrême sensibilité des enfants aux marques commerciales et à leurs publicités, vous obtenez quelque chose qui commence à ressembler fortement à un véritable conditionnement.

Mieux que le miracle de la multiplication des pains, celui de la multiplication des consommateurs. La Religion Féroce avait déjà ses grands prêtres, elle a désormais une catéchèse pour s’occuper des petits enfants !

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