LA CONFUSION CROÎT À PROPOS DE LA GRÈCE, par François Leclerc

Billet invité.

Après tant de rebondissements, le moment de l’épilogue est-il venu ? Mais, si c’est le cas, comment l’écrire quand la suite de l’histoire se présente tout aussi confusément ? Parmi les créanciers, chacun tente de se défausser de ses responsabilités, et les divisions apparaissent au grand jour. La Commission européenne fait valoir ses bons offices en rendant publiques ses propositions passées, la BCE proteste de sa neutralité en se réfugiant derrière l’application de ses « règles », et l’on apprend sans surprise que le FMI avait fait savoir portes closes qu’il se retirerait du jeu si les Européens n’entraient pas dans la logique d’un effacement de la dette grecque. Yanis Varoufakis a éclairé l’échec final des négociations du week-end dernier en annonçant qu’il ne viendrait pas avec de nouvelles propositions à la réunion de jeudi de l’Eurogroupe, car elles n’auront pas pu auparavant être discutées faute que ses interlocuteurs disposent du mandat adéquat. Il aurait pu ajouter : en raison de leurs divisions.

Les réunions se succèdent à Athènes, y compris entre les différents partis qu’Alexis Tsipras consulte, après qu’il a déclaré que « des motivations politiques peuvent être suspectées devant l’insistance des institutions à ce que nous procédions à de nouvelles coupes dans les retraites, en dépit de cinq années de saccage dans le cadre du mémorandum ». Le gouvernement grec, entend-on, pourrait engager une action devant la Cour de Justice européenne au nom du respect des traités grecs violés. Un projet de rupture des négociations a été élaboré par une aile de Syriza, selon le Daily Telegraph. Il s’inspire du précédent islandais et prévoit la nationalisation des banques grecques, un contrôle des capitaux et l’instauration d’une monnaie parallèle.

Tout a basculé : il n’est plus question que d’un défaut et de la sortie de la Grèce de l’euro qu’il pourrait entraîner. Mais lorsque l’on cherche à en décrire l’enchaînement, tout devient vite aussi confus qu’auparavant. La procédure de défaut du FMI fait l’objet de règles, mais celles-ci peuvent aboutir à un accord de rééchelonnement de la dette à son égard. Et l’agence Standard & Poor’s, pour tout obscurcir, a déclaré lundi qu’elle ne considérerait pas comme un défaut le non remboursement d’une échéance à la BCE !

L’argument vaut d’être noté : l’agence établit une distinction entre créanciers commerciaux et officiels, la BCE faisant partie de ces derniers. À se demander si le raisonnement tient également pour les autres créanciers publics de la Grèce, FMI compris, auquel cas celle-ci n’aurait qu’à honorer ses remboursements vis-à-vis des créanciers privés pour échapper au défaut et à sa sanction sur le marché ! Le problème se concentrerait sur les banques, et l’instauration d’un contrôle des capitaux le réglerait, comme cela a été le cas à Chypre.

Un peu de mansuétude de la BCE ne serait pas superflu dans une telle éventualité, mais elle ne serait pas exclue, car on serait entré dans une nouvelle période de négociation dont l’enjeu serait pour les créanciers publics de récupérer ce qu’ils peuvent de leur mise : il ne faudrait pas casser la baraque. D’autant que la BCE serait placée dans une situation encore plus inconfortable qu’actuellement, étant celle par qui le malheur arrive. Donnant un avant-goût de ce qu’elle pourrait avoir à affronter, la BCE est déjà accusée par le parti centriste grec To Potami de mener « une guerre économique systématique »…

Mais ni la Commission, ni le FMI, ni la BCE ne pourront prétendre retirer leur épingle du jeu étant donné leur responsabilité passée et présente. Ce second acte de la crise grecque illustre l’absence de toute procédure établie de restructuration de la dette souveraine, comme vient de le relever à nouveau Joseph Stiglitz, et condamne les créanciers à l’improvisation, chacun ayant ses intérêts particuliers à défendre.

À part ceux qui en Allemagne jouent la politique du pire au nom de leur conception ordolibérale achevée de l’Europe, ils seront tous d’accord sur un point capital : un défaut grec ne signifie pas une sortie de l’euro. Rien n’est d’ailleurs prévu à cet égard dans les Traités, et il va falloir improviser, les discussions commençant à ce sujet. Improviser reste donc le maître mot ! La situation est toutefois renversée : l’enjeu était de savoir comment la Grèce pouvait rembourser sa dette, il est devenu d’estimer quel montant pourra être récupéré !

La tenue dimanche prochain d’un sommet européen de la toute dernière chance serait en discussion, mais serait attendue la réunion de jeudi de l’Eurogroupe pour le décider, comme si elle pouvait permettre d’avancer. C’est dire si les dirigeants européens, tout en ne s’en donnant pas les moyens, ne veulent pas abandonner l’idée d’un accord. On les comprend, étant donné ce qui les attendrait…

Mais ils mettent désormais l’accent sur le fait qu’ils sont prêts à accepter d’autres mesures que celles qu’ils ont si longtemps cherché à imposer, à condition toutefois qu’elles aient un impact financier équivalent. Oubliant que le FMI, par la voie de son économiste en chef Olivier Blanchard, a montré que seules des coupes sur les retraites – étant donné leur poids budgétaire – permettraient de réaliser les économies requises, et qu’il faut sinon diminuer le montant de celles-ci, ce qui implique d’ouvrir le dossier du remboursement de la dette !

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