Billet invité.
L’impasse grecque est totale et le monde coule. Considérons la situation objective des protagonistes du drame. Pour la Grèce, il est ontologiquement impossible de se soumettre aux exigences de la technocratie franco-allemande. Elles consistent à démanteler l’État de droit pour forcer les classes moyennes et pauvres à payer plus d’impôts qu’elles ne reçoivent de services réels vitaux de la collectivité nationale.
Sur un strict plan économique, abstraction faite de la morale et de la justice, les excédents budgétaires et commerciaux que les Grecs consacrent au remboursement de leur dette à la BCE et à ses actionnaires étatiques, ont pour unique objet d’habiller les comptes financiers de la zone euro hors de toute réalité économique tangible. La liquidité nominale circule sans irriguer l’économie réelle.
Mathématiquement, les paiements de la Grèce ont pour unique fonction d’exonérer les banques de comptabiliser la dépréciation de la valeur réelle des crédits internationaux consentis dans le passé. Ainsi, les États garants de la liquidité des banques s’exonèrent de constater la dette latente envers les citoyens déposants, dette qui doit être matérialisée pour allouer aux banques le capital et la surveillance pour que la stabilité du système financier soit durablement crédible.
L’équation des politiques, fonctionnaires et banquiers franco-allemands est triviale. Ils doivent produire les apparences comptables donc politiques qui donnent l’impression qu’ils ont gardé la maîtrise d’un système de monnaie et de crédit qu’ils ont jadis déclaré indépendant et auto-régulé. Si la Grèce cesse de payer conformément à ce que requiert la réalité objective des gens sous souveraineté grecque, il faudra expliquer aux marchés financiers dans le même langage concret qu’aux citoyens allemands et français, que l’État français et l’État allemand ont les moyens de remplir leurs obligations malgré la défection grecque. Mais l’empire monétariste franco-allemand a phagocyté le pouvoir politique.
Si le système de l’euro est rationnel, solide et stable, alors le système bancaire indépendant du pouvoir politique est régulé par la seule efficience des normes de risque et de crédit pensées par les banquiers. Cela implique en théorie que les banques disposent effectivement de tout le capital nécessaire pour éponger et effacer le prix réel des erreurs passées. Cela signifie qu’en aucun cas, les banques n’achètent des bons du trésor et des titres d’obligation publique à un prix qui puisse être surévalué par rapport à ce que les États sont capables de rembourser.
Il est théoriquement tout aussi impensable que les mêmes titres de dette publique puissent être escomptés par les banques privées à la BCE à un prix surévalué pour obtenir plus de monnaie que ce que les États collecteront effectivement en ressources fiscales. En théorie toujours, si les normes de capitalisation des banques sont efficaces et efficientes, il est impossible que les États et les banques soient volontaristes dans les prévisions de rentrées fiscales futures justifiant le montant de dette publique qui puisse être émis en anticipation des paiements des contribuables.
Du coté politique, il doit être tout aussi impossible que les gouvernements déterminent leur budget et la charge fiscale imposée aux citoyens en privilégiant les intérêts financiers sur les obligations constitutionnelles, légales, sociales et judiciaires. Qui peut aujourd’hui honnêtement affirmer que la théorie soit effective et réelle dans la zone euro confrontée à la faillite des finances publiques ?
L’arnaque ontologique des libéraux
Sept ans après le krach des subprimes entièrement absorbé par la dette latente des contribuables, au plus grand bénéfice des rentiers hors sol et hors droit, l’irrationalité du système bancaire et monétaire qui fonde l’euro est tragiquement évidente. L’indépendance du calcul monétaire et financier par rapport à la réalité économique et politique se révèle purement incantatoire et manifestement contraire au principe d’égalité des hommes devant la loi et les charges de la loi.
La banque et la finance auto-régulées et auto-stables n’existent pas. La liquidité financière ne peut pas se matérialiser et se gérer sans une monnaie qui ne soit à la fois prix de la réalité des gens, crédit en droits humains, capital de connaissance humaine du réel. Force est de constater que la réalité n’est plus humanisable qui ne soit financièrement assurée par la responsabilité politique réelle. L’impasse de l’euro est tout aussi radicale pour les Allemands et les Français que pour les Grecs. Il y a juste que les politiques allemands et français se voient plus au-dessus des réalités et du droit parce qu’ils se croient plus forts.
La mécanique financière déclenchée par l’arrivée au pouvoir de Syriza est à la fois vertueuse et tragique. Elle transfère le prix du système européen d’irresponsabilité politique, des citoyens grecs exsangues aux citoyens allemands et français envoûtés par leurs prédicateurs politiques et financiers. Si la BCE cesse de fournir des liquidités aux banques grecques, la cessation de paiement des banques grecques et de l’État qui fournit les titres de dette collatérale se répercutera instantanément dans toutes les banques du monde. Les banquiers devront instantanément dire combien ils ont perdu pour prouver à leurs déposants et créanciers qu’ils ne sont pas aussi en faillite.
Or le krach des subprimes a montré que le système financier mondial ne contient par sa conception libérale, aucun mécanisme d’évaluation objective de la valeur réelle des dettes étatiques et bancaires. La montagne de produits dérivés émis sur le prix réel des dettes rend totalement fictif et invisible le rapport de prix entre les engagements juridiques fondés sur la réalité objective approuvée par les personnes physiques et morales et les engagements fondés sur la réalité fantasmée dans les modèles bancaires de prix.
Les experts financiers grecs, allemands et français connaissent ces réalités sur le bout des doigts. Les politiques franco-allemands s’acharnent à les nier pour ne pas avoir à remettre la monnaie sous la loi du bien commun transparent et vérifiable. Le prix calculable et discutable de la démocratie pose des limites insupportables à la toute puissance des sachants et à la cupidité des marchands libéraux hors sol.
De fait, les gouvernements français et allemands, qu’ils se disent de gauche ou de droite, vont vers la guerre civile européenne. Il est impossible d’imposer unilatéralement une limite au découvert que la Grèce et les banques grecques ont à la BCE. Pour singer l’exercice du pouvoir au mépris de sa finalité commune, les franco-allemands vont donc se montrer de plus en plus agressifs vis-à-vis des Grecs, des Portugais, des Irlandais, des Espagnols, des pauvres, des chômeurs, des immigrés, des étrangers, des Arabes, des Turcs, des Russes…
Le risque d’une nouvelle expérience nazie est jugé plus maîtrisable que la régulation des flux de capitaux entre les États, les banques et les possédants. Comme avant les deux précédentes guerres mondiales, le capitalisme libéral confond le passé et le futur. Il voit une saine concurrence entre l’accumulation du capital passée et le travail des jeunes, des pauvres et des entrepreneurs immédiatement dépendants de leur salaire pour vivre et accéder à la construction sociale du futur. Le capital désincarné gage les crédits par du capital physique plutôt que par l’innovation, la formation et les entreprises effectives. Il finance la rente en priorité sur le travail actuel de production véritable.
Les salaires et les revenus des consommateurs publics et privés prennent du retard sur l’accumulation financière débridée de dettes et de capital nominal. Les investissements réels sont en part décroissante du total des dettes nominales et latentes. La masse croissante des appauvris et des déclassés se désintéresse de la chose publique. L’allocation du pouvoir d’achat et le réinvestissement de l’épargne et des dépôts deviennent le monopole d’intérêts privés microscopiques. Les créanciers plus vulnérables dans leurs droits nominaux réclament plus de rigueur et de coupes économiques.
L’austérité gratuite se justifie pour elle-même. Elle provoque la dissolution des liens sociaux et des solidarités en capital, internationales et inter-communautaires. Les États de droit sont vidés de leur raison d’être ; les créanciers se raidissent ; les spéculateurs prennent le contrôle des actifs publics. Les prises de guerre deviennent le seul motif de l’agir commun. L’arnaque libérale exacerbée par la virtualité numérique moderne consiste à prétendre que la volonté d’un seul anonymisée dans un titre de société suffit à la volonté collective. Le seul moyen d’existence des individus devient la guerre.
La dette inique des Grecs en euro conduit l’Europe à la guerre civile aussi sûrement que les dettes de guerre des Allemands envers les États-Unis, le Royaume-Uni et la France entre 1919 et 1933. La mécanique infernale se nourrit du postulat libéral par lequel le rapport de force contractuel prime sur la délibération du vivre ensemble ; par lequel les intérêts particuliers du riche ont plus de réalité que l’intérêt général des citoyens ; par laquelle la rentabilité privée du capital prime sur son utilité publique universelle ; par laquelle enfin la norme abstraite a plus de valeur que la loi votée par les représentants du peuple.
La démocratie transsubstantiée par la monnaie
En abolissant les frontières légales et financières, la zone euro a effacé tout référencement des contrats de dette à des collectivités humaines responsables de leurs lois, de leurs gouvernants et de la transformation des paroles financières en actes économiques réels. Quelle que soit leur nationalité d’origine, les politiques et les fonctionnaires délégués à la résolution de la faillite grecque ne sont responsables d’aucune réalité humaine tangible sauf de leur réélection ou de leur promotion dans les sphères du pouvoir formel.
Sans marché des changes et des capitaux explicitement contrôlés par des États et les représentants identifiés et investis des États, la responsabilité politique du crédit et de la monnaie ne peut pas se mesurer ni se vérifier. Sans la titrisation différentiable des engagements de crédit entre une fédération, des États nationaux, des dirigeants politiques, des banques et des dirigeants de banque, le prix effectif de chaque responsabilité n’est pas calculable. Sans décomposition de la parité de l’euro en biens réels selon les responsabilités politiques différentes intervenant dans la régulation des crédits, la zone euro est une tyrannie financière promise au chaos.
Quand la misère aura touché suffisamment d’Européens et avant que les nazis financiaristes n’aient conquis tous les ministères et les parlements, il faudra que de vrais responsables politiques se fédèrent entre plusieurs pays de l’euro pour récuser la tyrannie ordo-libérale franco-allemande. Il faudra proposer par référendum dans tous les pays refondateurs de la démocratie européenne l’institution d’un État confédéral qui soit assureur par la monnaie des droits humains confédérés.
Dans le nouvel euro, la fonction financière de l’État confédéral sera d’assurer toutes les dettes publiques par les constitutions et les systèmes juridiques nationaux actuels. Une dette publique confédérale sera émise à proportion du capital en euro qu’un marché financier public officiel de la dette jugera nécessaire et suffisant pour garantir les prêteurs contre tout incident de paiement. Le financement du capital public confédéral sera assuré par une fiscalité financière sur les paiements interbancaires.
Une fiscalité en euro confédéral, objective, équitable et juste exigera le dépôt intégral dans un cadastre public confédéral de tous les motifs de paiement licite en euro. Tout banquier dans le nouvel euro devient un juge de paix civile : il est interdit de payer en euro par un objet non approuvé par la citoyenneté européenne. Pour un contrôle effectif de non contradiction au bien commun des citoyens, le pouvoir libératoire des espèces anonymes non scripturales que sont les billets physiques et les titres au porteur est supprimé.
Un État international européen dédié à l’assurance du droit des citoyens par la monnaie est le seul moyen de garantir l’égalité devant l’impôt entre des systèmes et des traditions juridiques différentes ; entre des cultures politiques, économiques et sociales hétérogènes. Entre des souverainetés distinctes utilisant la même monnaie, il faut nécessairement des bases fiscales de la propriété du capital et des revenus communes et centralisées. Sinon la liquidité se concentre inexorablement dans la souveraineté offrant le régime fiscal le plus avantageux pour des capitaux virtuels dont la réalité investie reste cachée et invérifiable en droit.
Un fichier central du capital garantissant les émissions de liquidité est nécessairement tenu par un pouvoir politique auto-financé par l’impôt des citoyens actionnaires, déposants, emprunteurs et salariés. Si des banquiers ou des technocrates non élus contrôlent le cadastre financier du capital, ils sont mécaniquement poussés à falsifier l’information pour améliorer le prix de leur propre crédit, dissimuler leurs erreurs d’investissement et optimiser la rentabilité fiscale de leur capital.
Un État national ou des coalitions d’intérêts privés ne doivent pas avoir de privilèges de déclaration au cadastre central sous peine de tordre le calcul de l’impôt et l’affectation des recettes aux véritables collectivités créatrices de bénéfices. Une monnaie adossée au droit des gens est nécessairement immatérielle pour que tout paiement de dette soit traçable et subordonné à la juste rémunération du travail proportionnelle aux services rendus et aux droits sociaux fondamentaux.
Si la légalité des paiements est matérialisée hors la vue d’une puissance publique exclusivement financée par l’impôt, alors les droits du créancier ou de l’officier public rémunéré pour ne rien comprendre, deviennent supérieurs à ceux de l’emprunteur et du contribuable qui travaille et entreprend. Dans la zone euro actuelle, les États qui contrôlent vraiment la légalité des bénéfices du capital sont privés de crédit donc de la liquidité de leurs recettes fiscales futures véritables.
Enfin pour que l’efficacité relative des États à défendre l’intérêt général soit mesurée et financée, il est impossible de garder une parité de change fixe entre des gouvernements différents. Sur le plan économique un État ne peut pas être responsable du bien commun dans son périmètre de souveraineté si son solde budgétaire issu de ses engagements légaux et constitutionnels n’est pas cofinancé par une solidarité inter-étatique. La rationalité économique commande qu’une collectivité en déficit budgétaire impute une prime de change sur ses ressortissants importateurs de capital.
La prime de change prélevée par le marché monétaire dans une zone de monnaie unique doit être versée au budget d’assurance confédérale des dettes inter-étatiques et communautaires. Inversement une collectivité en excédent budgétaire doit consentir à une réévaluation de sa parité de change, donc à la perception fiscale d’une prime de change, afin de faire contribuer ses exportateurs à l’assurance du risque de crédit général induit par ses excédents commerciaux.
En substance, la réévaluation interne de l’euro allemand dans la zone de monnaie unique augmenterait le pouvoir d’achat de l’économie allemande sur le reste de la zone. Les plus efficaces tirent la croissance de tous sans les asservir. Le rééquilibrage des balances de paiement inter-étatiques dans le système interbancaire en euro résulterait sur le plan macro-économique de la fiscalité confédérale sur les changes intérieurs entre banques de nationalité différente ; et sur le plan micro-économique, d’un affichage dans les prix de revient du coût d’assurance de la stabilité réelle du crédit.
L’euro libéral a été institué pour supprimer le risque de change à l’intérieur du marché soi-disant unifié. En réalité les pouvoirs politiques ont supprimé le mécanisme financier qui permettait de mesurer et de contrôler le prix économique de leur efficacité politique. Ce régime d’anarchie financière permet la falsification libre des comptes publics et des bases fiscales. Les politiques achètent les voix de leurs électeurs en finançant toutes leurs promesses par l’emprunt des recettes fiscales des citoyens qui ne sont pas encore nés. La rente financière est directement nourrie dans le pillage libre des finances publiques par les clientèles politiques.
Dans le régime mondial de la libre circulation du capital, les institutions de la démocratie ne sont pas finançables par l’euro libéral. Les pouvoirs politiques sont exposés à la corruption illimitée de l’argent que personne ne doit ni ne peut contrôler faute d’une personnalité morale internationalisée de l’État de droit. Les citoyens d’Europe ne peuvent rien attendre du système politique actuel. Leur seule chance de rétablir la possibilité du droit, de la justice et de la prospérité économique est d’exiger la formation d’une confédération de l’euro financée par une fiscalité propre, donc contrôlée par un sénat élu par les personnes physiques et morales qui soient solidaires par la démocratie.
Depuis la Grèce antique, les gens non solidaires par la monnaie de la cité commune sont appelés barbares. Et les gens qui ne sont pas conviés à la délibération financière du bien commun sont les esclaves. Quand l’Europe a cessé de lier l’émission de la monnaie à la délibération démocratique du bien commun entre ses cités, elle a dégénéré en tyrannie. Quand l’Europe cesse de financer la construction de la démocratie, le monde retourne à l’esclavage.
La question posée à chaque citoyen d’Europe est : voulez-vous que votre démocratie nationale soit assurée par la Confédération de l’euro responsable de la gouvernance mutualisée du système européen de liquidité du crédit par l’égalité réelle devant l’impôt ?
« En période de récession économique ou de crise politique, l’extrême gauche devient souvent l’extrême droite…! » Il faut changer de lunettes…