GROS EFFET DE CISEAU ENTRE DETTE ET CROISSANCE, par François Leclerc

Billet invité.

Que peut-on attendre de l’économie dans les années à venir ? Préparant avec la Banque mondiale sa réunion de printemps de la semaine prochaine à Washington, le FMI nous livre en avant-première le fond de sa pensée, et l’on n’en sort pas ébloui.

Non pas tant à cause des médiocres perspectives qu’il dessine, aussi bien pour les pays avancés que pour les émergents, mais en raison de la multiplicité des raisons à cette situation qu’il invoque, ce qui fait que l’on ne sait plus par quel bout prendre la question. En d’autres termes, comme si les dés étaient jetés, ce que corrobore l’importance que le Fonds accorde dans son analyse au vieillissement de la population dans les pays avancés, sur lequel on ne peut pas agir, auquel s’ajoute un chômage qui ne donne pas signe de se résorber si l’on considère le taux de participation au marché du travail.

Dans les cinq années à venir, la croissance devrait être de 1,5% en moyenne pour les premiers, et de 5,2% pour les seconds. Loin dans les deux cas de renouer avec les taux d’avant la crise de 2007. Côté préconisation, le maître mot est investissement, car « des réformes et des politiques soutenant l’offre devraient être adoptées », dirigés vers la recherche et le développement, l’éducation et les infrastructures. Autant dire selon les recettes de toujours, comme autant de manières de préparer l’avenir sans s’aventurer à le décrire, et sans se pencher sur la demande et ses perspectives.

En pointant la faiblesse de la croissance, les inquiétudes du Fonds se manifestent sur un autre terrain, plus d’actualité : celui du désendettement qui ne va pas en sortir facilité. Un sujet sur lequel il travaille en permanence, étant par sa mission au cœur de la gestion de la dette. Certes, les commentaires se multiplient en Europe à propos de l’impact positif des taux du marché obligataire sur le coût de la dette. Mais les deux phénomènes ont des effets contradictoires, et si la faiblesse de la croissance s’annonce persistante, va-t-il en être de même pour les taux obligataires ? La hausse des taux aux États-Unis – toujours retardée, mais toujours à l’ordre du jour – va en effet tôt ou tard pousser celle des taux européens. Les banques centrales agissent de manière décalée dans le temps, mais le levier monétaire de la Fed est plus puissant que celui de la BCE, rôle mondial du dollar oblige.

L’accalmie qui est actuellement enregistrée sur le marché obligataire européen ne sera pas éternelle, et il faut se préparer à un retournement de conjoncture. Raison pour laquelle le Fonds met l’accent sur une politique d’investissement que l’Union européenne continue de peiner à concrétiser avec son « Plan Juncker ». La consolidation fiscale ne fait pas bon ménage avec le financement de celui-ci, qui dépend largement d’investisseurs privés. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, et on ne sort pas si facilement que cela du « piège à liquidité ».

En dernier ressort, qu’il s’agisse d’éponger la dette ou de financer les investissements, il reste comme solution de faire appel à la BCE, en raison de ses capacités de création monétaire. Comme André Grjebine, directeur de recherches à Sciences-Po, l’explique à Ivan Best de La Tribune, celle-ci pourrait être mise à contribution une fois un Trésor européen créé, dont elle pourrait acheter les titres sans violer l’interdiction qui lui est faite de financer les États. Le plan peut séduire sur le papier, un mécanisme pouvant permettre de rembourser la BCE en fonction de l’accroissement de la croissance résultant des investissements qu’elle finance. Ce qui en passant rappelle un autre mécanisme, proposé par Yanis Varoufakis, le ministre grec des finances, qui suggère d’assujettir le remboursement de la dette au taux de croissance de l’économie. Mais cela représenterait une forme avancée de mutualisation qui n’est pas politiquement à portée, tant que les compteurs de la dette n’auront pas été mis à zéro, c’est à dire tant que la consolidation fiscale n’aura pas été menée à son terme. On se mord le bout de la queue.

Encore un effort, il va falloir être un peu plus pertinent pour expliquer les raisons de l’atonie de la croissance et pour sortir des eaux troubles sur lesquelles le système financier navigue. Les taux négatifs en représentent une éloquente illustration, la Suisse a émis un emprunt sur dix ans assortis d’un rendement de -0,055 %. Pour l’Allemagne, le rendement d’une émission à 5 ans est ressorti à -0,08%…

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