Billet invité. Cédric Chevalier livre une analyse du dernier billet du blog de Jacques Attali
Comme vous le savez, Monsieur Attali, la forme interrogative et la paraphrase des propos des autres sont des paravents commodes pour préparer le terrain de sa démonstration dans un essai. Mais je vous propose dans cette analyse d’annuler les effets de ces artifices rhétoriques pour analyser la validité factuelle des propositions mises en incise de cette manière dans votre billet « À quoi peut encore servir la COP 21 ? ». C’est donc le fond des idées que vous avez évoquées ou défendues, et pas la forme ou la stratégie que vous suivez, dont je propose d’analyser avec vous la validité et la pertinence.
« Peut-on raisonnablement espérer qu’après tant d’échecs, une nouvelle conférence internationale, à Paris, en novembre prochain, réussisse à maitriser le réchauffement climatique ? »
Oui et non dans l’absolu.
Non, aucune conférence internationale ne réussira en elle-même à maitriser le dérèglement climatique. C’est donner trop de pouvoir à une simple conférence. Surtout après autant d’échecs de cette longue suite de conférences internationale portant sur le dérèglement climatique. Il y a un monde de différence, comme nous l’avons vu [Bas les masques Monsieur Attali] entre une intention, une parole, un texte et une réalisation concrète. C’est le cas de tous les textes internationaux.
Oui, pourtant, une telle conférence peut indéniablement contribuer à produire l’accord international qui est une des conditions nécessaires mais non suffisante de la maitrise mondiale des émissions de gaz à effet de serre. Une occurrence suffit à prouver la possibilité. Les études scientifiques ont démontré l’effet réel et significatif du Protocole de Montréal qui fut le début de la maitrise mondiale des émissions de CFC destructeurs de la couche d’ozone stratosphérique. Ce Protocole est considéré avec raison, dans toute l’histoire de l’Humanité, comme le premier traité international qui a adressé avec succès un défi de régulation environnementale au niveau mondial. Vu les contingences actuelles, un observateur peut sans doute estimer que les probabilités réelles que la conférence de Paris débouche finalement sur un accord aussi fructueux que celui de Montréal sont minces, mais elles ne sont en aucun cas nulles.
Non peut-être, car soyons de bon compte, le Protocole de Montréal a dû également son succès au fait que la solution au problème environnemental qu’il constituait n’impliquait pas la remise en question totale du système technico-économique mondial, mais seulement la substitution d’une solution technique par une autre solution technique disponible, dans le même cadre de fonctionnement technico-économique.
Et enfin, oui, car nous n’avons pas d’autre espoir ! Malgré toutes les stratégies d’adaptation envisageables, reposant sur des technologies futures hypothétiques, le problème du dérèglement climatique a des propriétés linéaires. Plus on continue à émettre des GES, plus leur stock dans l’atmosphère augmente, plus les perturbations à en attendre seront importantes et plus leur inertie sera longue. Il n’y a pas de choix à faire entre adaptation au dérèglement et maîtrise du dérèglement. Il ne sera pas temps non plus à terme de « renoncer à la maîtrise car il serait trop tard et donc se plonger dans l’adaptation ». Il est indispensable de poursuivre la stratégie de maîtrise car il est toujours temps et d’entamer la stratégie d’adaptation car des conséquences sont d’ores et déjà certaines.
En réalité, il n’y a pas d’échappatoire face à une limite biophysique absolue. Toutes choses égales par ailleurs, et sous peine d’entrer dans une période d’extrême incertitude aux conséquences néfastes plus que probables pour la civilisation et l’espèce, les facteurs qui sous-tendent le dérèglement climatique (GES) doivent être maîtrisé aujourd’hui ou demain, mais dans tous les cas le plus tôt est le mieux. Le problème n’est pas de ceux qui produisent leurs effets une fois, mais de ceux dont la non maitrise conduit inexorablement au pire. Vu les effets inertiels déjà déclenchés, la stratégie d’adaptation doit également être mise en œuvre, concomitamment, et pas à la place de la stratégie de maitrise. Déjà la sortie des bandes de fluctuation normales actuelle provoquera des effets inertiels dont certains se chiffrent en millénaires (dilatation des océans). La moindre molécule de GES supplémentaire dans l’atmosphère augmente dès à présent les risques que l’ont fait peser sur l’Humanité. Il ne s’agit donc pas de renoncer aujourd’hui à une stratégie qui aurait échoué (la maîtrise par autolimitation), mais bien de la mettre en œuvre le plus tôt possible.
Si vous faites partie de ceux qui proposent d’abandonner l’objectif de maitrise, je ne peux que vous inviter à prendre d’urgence contact avec les plus grands climatologues du monde : ainsi, le Vice-Président belge du GIEC, le Professeur Jean-Pascal van Ypersele, se ferait un plaisir de vous réexpliquer les lois de la physique et en particulier de la thermodynamique climatique, qui conduisent à rendre l’autolimitation indispensable.
Votre rôle d’intellectuel est de rappeler ce consensus scientifique, encore et encore, chaque jour, dans chaque intervention écrite ou orale. Le doute est une vertu pour le penseur. Mais la remise en question du bien-fondé de la maîtrise par autolimitation ne repose sur aucun argument sérieux.
Et enfin, il n’est pas crédible d’envisager une solution qui ne comprenne pas un accord international d’autolimitation des émissions réunissant les pays responsables d’au moins 90% des émissions de gaz à effet de serre. En effet, seul un accord collectif contraignant peut annuler l’effet de free riding dont bénéficierait un grand pays émetteur en refusant de participer à un tel accord qu’accepteraient les autres grands émetteurs.
« De fait, c’est très mal parti : »
Peut-être est-ce votre constat pragmatique qui s’impose à l’examen des forces en présence pour cette conférence. S’en lamenter, qu’apporte cela au combat ? Votre rôle d’intellectuel n’est-il pas de pointer la voie ou les voies nécessaires de notre salut, au lieu de vous joindre aux lamentations ?
« D’abord, aucun consensus n’existe sur les mécanismes en cause : pour certains, le responsable est surtout le soleil et nul n’y peut rien. Pour d’autres, ce sont les activités humaines, et en particulier l’émission de gaz à effet de serre ; et on y peut beaucoup. Pour d’autres enfin, la température mondiale n’augmente plus depuis plus de 10 ans, le pire est passé et il est inutile de s’en préoccuper. »
De quel consensus parlez-vous, Monsieur Attali ? Au sens strict, votre propos est faux. A partir du moment où il existe une occurrence d’un fait, clamer son absence universelle est erroné, c’est de la pure logique élémentaire. Le consensus n’est pas un fait physique, c’est un fait symbolique purement humain. Sa qualité est donc essentielle. Or quel meilleur consensus international peut-il exister au sein de l’Humanité que le consensus de sa communauté scientifique internationale, libre, éclairée, et assise sur 2500 ans de logique, d’esprit critique et analytique, dotée des mécanismes d’autocontrôle validés par au moins 3 siècles de pensée philosophique et de débats contradictoires. Pourquoi Monsieur Attali, ne pas reconnaître et défendre la valeur supérieure du 5ème rapport international du GIEC, un des plus beaux faits d’arme de toute l’histoire de la communauté scientifique ? De quels autres consensus significatifs parlez-vous donc ?
Celui des politiques ? Ignorez-vous que les rapports du GIEC sont des fusées à plusieurs étages, avec une solide fondation scientifique sur laquelle vient se greffer un consensus politique éclairé ?
Celui des populations ? Ignorez-vous qu’une partie sans cesse croissante des populations fait sienne la validation des scientifiques du GIEC et des politiques sur la nature et la cause du phénomène de dérèglement ?
Celui du monde de l’entreprise ? Ignorez-vous que des intérêts économiques énormes sont en jeux qui, toutes choses égales par ailleurs, tendent à minimiser la réalité et la cause du dérèglement climatique, comme l’ont démontré de nombreux auteurs (Lire « Les marchands de doute », de Naomi Oreskes) ?
En réalité, derrière la paraphrase, vous prenez le risque de perpétuer la forfaiture grotesque des medias : placer sur le même pied d’égalité les thèses les plus antagonistes, sous couvert de débat contradictoire. Même s’il décrit une certaine réalité, que vaut l’avis de comptoir de quelques quidams, d’une clique de PDG, de chimistes, géologues ou toute autre scientifique non spécialiste de la question, de politiciens conservateurs, face au consensus international non partisan et totalement scientifique du GIEC ? Faut-il encore donner un tel crédit et une telle exposition aux thèses les plus branlantes ?
Votre rôle d’intellectuel n’est-il pas d’écarter le faux pour dire le vrai ?
« Ensuite, aucun consensus n’existe non plus sur la nécessité d’éviter ce réchauffement, s’il a lieu : »
Cela semble faux encore une fois : il faut relire le rapport du GIEC et les commentaires émis ci-dessus sur l’absence supposée de consensus que vous évoquez.
« Pour certains, le changement climatique ne doit pas servir de prétexte pour ralentir la croissance, car celle-ci est plus que jamais nécessaire à la lutte contre la pauvreté et le désordre politique ; »
Derrière la paraphrase, vous cachez la présentation d’une opinion non crédible. A quoi sert la croissance si elle détruit les fondements même de la prospérité, dont l’environnement est un pilier central ? Les habitants des îles inondées ont-ils besoin de plus ou moins de croissance ? De plus ou moins des émissions de gaz à effet de serre qui lui sont directement proportionnelles et qui noient leurs îles ? Quelle est cette fuite en avant de la croissance ? Vaut-il mieux un pauvre vivant sur son île ou un pauvre mort noyé par la croissance actuelle ? Vaut-il mieux un désordre politique dans un climat stable ou un désordre politique dans un climat chaotique ?
« plus même, ce changement serait bienvenu parce qu’il rendrait cultivables et habitables de vastes étendues aujourd’hui gelées, au Canada et en Russie. »
Cette thèse a peu de crédibilité. La plupart des terres dont vous parlez sont non cultivables à grande échelle. Le sol canadien comporte en grande partie une fine pellicule de terre sur un bouclier de roche, le sol sibérien est sans doute beaucoup moins exploitable que ne l’imagine la plupart des gens. Admettons même qu’il existe de telles possibilités, faut-il se féliciter de pouvoir bientôt cuire un pain dans un four chauffé par la maison qui brûle ? Faut-il se féliciter ici du bonheur très local et temporaire des uns au détriment du malheur généralisé en aggravation des autres ?
« Pour d’autres au contraire, ralentir le réchauffement serait fondamental car il constitue une menace pour la vie même : une augmentation de 2°C entrainerait une hausse très significative de la fréquence et de l’intensité des cyclones , des sécheresses des inondations et entrainerait l’extinction de 20 à 30% des espèces animales et végétales. »
Ces « autres », ce sont rien moins que les membres de la communauté scientifique internationale réunis au sein du GIEC, et publiés sans répit, pour ne citer que les revues aux impact factor les plus élevés, dans Nature et Science.
« Alors, qu’en attendre ? Pour les diplomates et les négociateurs actuels, il faudrait y décider de renoncer volontairement à extraire, par un rationnement autoritaire ou par une taxe sur les émissions de CO2, 80 % du charbon connu, la moitié du gaz et le tiers du pétrole. Cet objectif est complétement illusoire et il faut cesser de prétendre qu’on va l’atteindre: Personne ne se résignera jamais à conserver sous ses pieds de tels trésors d’énergie sans jamais les utiliser. »
C’est pourtant le constat des scientifiques sérieux : si on brûle ces énergies fossiles, c’en est fini de la maitrise du dérèglement climatique (McGlade C. & Ekins P., The geographical distribution of fossil fuels unused when limiting global warming to 2 °C, in Nature, 517, pp. 187-190, 8 janvier 2015). Il faut donc effectivement renoncer à extraire ces énergies fossiles, en rationnant d’une manière ou d’une autre les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial (législation, normes, quotas, taxes). Si on estime que cette solution est illusoire, qu’on ne l’attendra pas et que personne ne se résignera jamais à limiter sa consommation de ressources et d’énergie sur notre petite planète, alors on peut facilement conclure que l’espèce humaine, et une bonne partie du règne du vivant sont condamnés à terme plus ou moins long. Même si nous avons la chance de constater qu’au final, la biosphère recèle un mécanisme d’autorégulation salvateur qui annihile le risque climatique sans que l’humanité ne maitrise ses émissions, ce n’est que reporter l’inéluctable. Un jour ou l’autre, l’espèce humaine sera confrontée à l’obligation impérieuse d’autolimiter sa propre extension technico-économique dans la ou les biosphères qu’elle habite. Cette frontière de l’autolimitation sera celle du test de la survie de l’espèce à très longue échéance. Est-ce votre thèse que de nous dire que vous en croyez l’espèce incapable ? Parce qu’une mesure physiquement inévitable pour la survie de l’humanité et de la civilisation paraît aujourd’hui irréalisable selon le cadre de pensée ambiant, il faudrait y renoncer ? La survie de l’espèce et de la civilisation n’a-t-elle pas un prix suffisamment élevé pour élever en retour notre ambition et notre détermination ? Votre opinion nous offre en tout cas une belle anticipation d’une réponse possible au paradoxe de Fermi. Si nous n’observons les signaux d’aucune civilisation extra-terrestre, c’est parce qu’elles disparaissent toutes dès qu’elles ont atteint un certain seuil de développement technologique, seuil qui les conduit inexorablement au suicide par autodestruction, faute d’avoir respecté les limites de leur biosphère. Parce qu’une intervention politique est difficile et semble impossible, parce qu’elle implique de limiter cet élan que vous jugez inarrêtable, l’élan de la liberté individuelle, il faudrait y renoncer ? Parce que le seul traitement disponible d’un malade grave semble peu promis au succès, il faudrait y renoncer ?
C’est seulement si on peut démontrer la validité suffisante des stratégies qui en feraient l’impasse que l’on peut renoncer à l’option principale d’autolimitation. En attendant ces preuves illusoires sur des procédés inconnus, l’autolimitation est aujourd’hui la seule option aux effets suffisants qui soit technologiquement réalisable de manière démontrée.
« Pourtant, si elle reste sur sa trajectoire actuelle, cette conférence produira, au mieux un vague communiqué moralisateur promettant de réduire significativement les émissions de CO2 d’ici à 2050, date à laquelle tous les négociateurs seront depuis longtemps en retraite, pour le moins. Avec peut être, au mieux, en annexe, un petit financement pour des innovations. »
Vous êtes déjà d’une certaine manière à la retraite vous aussi Monsieur Attali. Et vous ne serez vraisemblablement plus parmi nous en 2050, même si, à titre personnel et qui sait, si la médecine le permet, je vous le souhaite sincèrement. Mais de nombreux jeunes d’aujourd’hui vivront probablement encore à ce moment. Et vos et nos enfants ou petits-enfants respectifs seront également présent pour mesurer nos efforts concrets et relire nos écrits.
Est-ce cette perspective déprimante qu’il nous faut envisager ?
Mais peut-être, et comme c’est votre stratégie de penseur depuis longtemps, prêchez-vous dans votre billet le pire, en reprenant les paroles des plus grands sophistes de notre époque, pour pousser les acteurs, par la force de l’effroi, à retrousser leurs manches pour que le meilleur advienne. En cela, vous seriez proche de la vertu de la peur prônée par Hans Jonas dans son Principe Responsabilité. C’est la seule interprétation heureuse que je fais encore de votre billet.
« Pour réussir vraiment, la COP21 doit dès maintenant changer totalement d’objectif et de mode de négociation.
Elle doit devenir une conférence de lancement d’une économie positive mondiale, c’est à dire une économie au service des générations suivantes. La présidence française doit énoncer clairement, et dès maintenant, que son but ne sera pas de négocier des normes ou des quotas, totalement irréalistes. »
C’est irréaliste pour les contraintes physiques évoquées ci-dessus et reconnues par la communauté scientifique.
C’est le fantasme qu’on pourra réussir sans poser des limites qui est irréaliste. C’est ce refus des limites qui conduire l’espèce humaine à sa perte. Et c’est ce que martèlent chaque jour davantage d’articles scientifiques dans les revues prestigieuses Nature et Science, et ce en quoi consistent les conclusions du GIEC.
« Mais d’orienter les entreprises et les consommateurs vers de nouvelles façons de produire et de consommer. Et pour cela, de rassembler des financements massifs pour des projets très concrets, faisant par exemple basculer les transports automobile et aérien vers des sources d’énergie électrique d’origine nucléaire ; organisant le transport à longue distance de l’énergie solaire produite avant la tombée du jour en Grèce vers l’Allemagne et du Moyen Orient vers l’Inde ; incitant au développement des technologies d’économie d’énergie et de substitution de l’information à l’énergie, ( telle l’imprimante 3D et l’économie collaborative) . Autrement dit, plus généralement, comprendre que l’altruisme est la meilleure façon de lutter contre les émissions de CO2. »
L’altruisme rationnel pourrait certes être un moteur puissant au service de la maitrise des gaz à effet de serre, un moteur probablement nécessaire, mais il ne fonctionnera au mieux que dans un cadre qui pose des limites aux comportements. Quelle est sinon cette stratégie qui ne remet pas en question les dogmes prométhéens de Technologie, de Science, de Progrès adoptés par la pensée économique dominante ? Cette stratégie qui ne remet pas en question l’hybris colonisateur de l’espèce humaine ? Cette stratégie qui n’offre aucune garantie scientifique de succès ?
Et s’il fallait assumer, a contrario et dès à présent, une position forte de limitation ?
L’économie circulaire et positive doit effectivement être mise en œuvre dès maintenant. Elle est toute aussi indispensable dans les stratégies d’autolimitation et d’adaptation.
Mais souvenez-vous que la limite systémique dont nous parlons, elle n’est franchie qu’une fois, vu les irréversibilités de la biosphère, mises en évidence par les scientifiques.
L’autolimitation a pour elle la faisabilité technique, la certitude d’être indispensable quelle que soit l’évolution de l’Humanité, et est la première et seule stratégie qui ne peut être regrettée. En tant qu’économiste et peut-être connaisseur de la théorie des jeux, vous devriez admettre qu’elle est une stratégie supérieure à celle que vous proposez, selon le critère du minimax, qui consiste à tenter de minimiser la perte maximum qu’un joueur peut subir dans un jeu stratégique. La stratégie de l’adaptation ne minimise pas cette perte maximum puisqu’elle ne répond pas à une occurrence inacceptable de la réalité future, celle où la perte est infinie car la civilisation ou l’espèce est détruite. Quand la stratégie monodimensionnelle d’adaptation aura échoué, il sera trop tard pour entamer la stratégie de maitrise.
Seule une stratégie mixte est rationnelle et doit comprendre la stratégie de maitrise qui est minimax. Seule une remise en question du bienfondé de la perpétuation durable de l’espèce peut conduire à une autre stratégie réelle, une stratégie qui consisterait à « brûler la chandelle par les deux bouts ».
« Plus encore, la présidence française devrait avoir dès maintenant le courage d’anticiper sur son échec, prendre acte de ce qu’elle ne pourra sans doute pas imposer une réduction des émissions mondiales de CO2 et concourir au développement des techniques de sa captation : le transformer en carbonate, par une réaction avec une solution basique ; développer des forets sur terre et des phytoplanctons dans la mer, capables les unes et les autres d’absorber le CO2 par photosynthèse. Et plus encore même, oser imaginer comment réfléchir les rayons solaires pour les empêcher de participer au réchauffement, en modifiant le pouvoir réfléchissant des surfaces terrestres, en envoyant des miroirs dans l’espace et en augmentant la brillance des nuages en leur injectant des sels marins. »
Toutes choses égales par ailleurs, pourquoi en effet ne pas laisser la recherche explorer toutes les pistes de solution ? Cette piste fait partie de la stratégie mixte de maitrise et d’adaptation.
Mais attention encore une fois à l’hybris prométhéen ! Qui peut ou pourra jamais prétendre maîtriser complètement les effets de l’injection d’une substance dans l’atmosphère ? La leçon du climat n’est-elle pas limpide à ce sujet ? Vous devriez vraiment lire Le Principe Responsabilité de Hans Jonas, Monsieur Attali. Vous seriez vraisemblablement édifié d’y trouver une logique morale qui devrait faire partie de la bibliothèque de tous les penseurs de la planète. Loin du rejet dogmatique de la technologie dans lequel vous voulez enfermer, de manière caricaturale, les tenants de l’autolimitation, les penseurs comme Hans Jonas ne nous demandent pas d’y renoncer. Mais ils viennent vous dire, comme Jonas l’a dit à Ernst Bloch et à son Principe Espérance, que les tenants de l’hybris prométhéen ne sont pas les seuls représentants de l’espèce humaine. Qu’on peut les contester à juste titre. Que d’autres individus, qui ont une autre voix, font d’autres choix, et expriment d’autres désirs de liberté vivent et respirent sur cette planète. Ces autres individus vous demandent de limiter la folle course en avant vers le pire et la croyance folle qu’on résoudra toujours par la science et la technologie tous les problèmes. Ces individus vous demandent de reconnaître l’existence de limites, ce concept qu’on a cru pouvoir balayer depuis plus de 3 siècles de progrès technologique.
Ces individus ont autant que vous le droit de définir l’avenir qu’il souhaitent pour l’espèce, la civilisation et la planète. Et ces individus souhaitent qu’on mette en œuvre une autolimitation de l’extension techno-économique de l’Humanité, c’est-à-dire son empreinte environnementale, au moins dans les domaines où l’absence de cette limitation conduit au pire.
« De magnifiques chantiers, si on ose passer d’une écologie punitive à une économie positive. »
Tout le biais cognitif de l’Occident est là : « ce qui limite l’hybris est punitif ! » Et encore une fois, Monsieur Attali, vous ne présentez l’écologie politique que sous un jour punitif tout à fait caricatural, alors qu’elle est le premier courant politique d’importance à reconnaitre l’existence des limites réelles de la biosphère. Non tous les écologistes ne sont pas des technophobes. C’est l’empreinte globale de l’Humanité qui pose question, et son lien avec la technologie et le système économique, qu’il est légitime d’interroger. L’usage de l’outil, de la technique, est intrinsèque à l’espèce et personne parmi les gens sérieux ne remet cela pas en question. Votre réponse ad cavernum, très populaire parmi les détracteurs de l’autolimitation, qui ressemble au stratagème n°24 ad absurdum de Schopenhauer dans son « Art d’avoir toujours raison », et que vous utilisez sans gêne, n’est pas digne de vos contradicteurs et ne rend pas honneur à l’importance de l’enjeu. La question n’est pas « quand fallait-il s’arrêter ? », mais « que devons-nous arrêter maintenant ? ». Et comme l’a brillamment montré Hans Jonas philosophiquement, depuis que nous ne maitrisons plus les effets de nos technologies qui menacent notre propre survie, la question est devenue « quand faut-il s’arrêter désormais ? » dont la réponse est « chaque fois que nous risquons de franchir une limite existentielle », c’est-à-dire « chaque fois que la civilisation et l’espèce seront menacées de manière inacceptable » !
Monsieur Attali, pour conclure, puissiez-vous vivre jusqu’à 120 ans, parce que vous seriez un formidable allié dans le combat crucial que nous vivons, dans ce rapport de force existentiel pour notre survie. Ecoutez cet appel vibrant :
Joignez-vous à nous, soyez le porteur de l’espoir et non de la résignation, mettez tout votre poids médiatique et intellectuel dans la lutte de pouvoir et d’idées pour sauver notre civilisation et l’espèce. Reconnaissez les impasses de votre raisonnement qui ne remet pas assez en question le cadre. Soyez parmi les précurseurs de la réintégration de la notion de limite dans la psyché humaine !
J’ai l’explication : https://www.francebleu.fr/emissions/circuit-bleu-cote-saveur-avec-les-toques-en-drome-ardeche/drome-ardeche/circuit-bleu-cote-saveurs-avec-les-toques-de-drome-ardeche-102