La Troïka, les banques et nous, par Zébu

Billet invité.

Le documentaire qu’Arte a diffusé ce mardi, « Puissante et incontrôlée : la Troïka », est un très bon documentaire.

D’abord parce qu’il est réalisé par une chaîne franco-allemande, que c’est une production allemande et qu’il est présenté par un journaliste allemand, en allemand [1]. Ce type de documentaire participe justement à cette nécessité de ‘parler aux Allemands’, sur ce qu’est la réalité et non sur ce qu’en disent leurs représentants élus ou leurs medias. Il n’est alors pas plus étonnant qu’avec un tel matraquage idéologique seulement 21% des Allemands soient d’accord avec l’accord récemment dessiné avec la Grèce (et ‘seulement’ 36% pour ceux proches de Die Linke) …

Ensuite, ce documentaire est très récent et intègre les derniers bouleversements politiques en Grèce, et même une interview de M. Varoufakis, Ministre des finances grec, qui explicite ainsi très clairement, avec d’autres acteurs politiques actuels ou passés, ce qu’est la représentation politique grecque de la Troïka et sans doute une part de vérité sur ce qu’elle fut et ce qu’elle va probablement continuer d’être, mutatis mutandis.

Et bien qu’il soit instruit en bonne partie ‘à charge’ contre la Troïka, ce documentaire prend aussi le soin de donner la parole à certains acteurs, en Grèce ou au Portugal, qui continuent de défendre la nécessité d’un tel programme et d’une telle ‘institution’, si tant est que l’on puisse dénommer ainsi ‘quelque chose’ qui n’a pas d’existence légale. Certaines institutions ont pu, par le biais des acteurs qui ont pu être approchés, comme le FMI et l’Eurogroupe, délivrer leurs certitudes pour certains, voir leur morgue, leur obstination quant à la détention de la vérité, ou leurs doutes et même leurs critiques, comme ce fut le cas avec l’administrateur brésilien du FMI sur la transformation des règles du jeu pour l’adapter au cas grec. Ceci démontre en tout cas, le documentaire évitant ainsi le manichéisme simplificateur, que la complexité est aussi du côté de la Troïka.

Il n’en reste pas moins que deux institutions majeures de la Troïka n’ont pas souhaité participer à ce film et répondre à ses questions : la BCE et la Commission européenne. L’une et l’autre sans doute parce qu’in fine, ce qui apparaît dans ce reportage, c’est bien le fait que cette Troïka fut initiée et gérée par les nations européennes, par le Conseil européen et surtout l’Eurogroupe (l’autre ‘institution’ avec la Troïka qui ne soit pas communautaire et donc européenne), en lieu et place d’une gestion communautaire strictement, a fortiori en lieu et place des seuls représentants élus à qui ce type d’action aurait dû être dévolu, le Parlement européen. Quelque part, ce sont bien des nations européennes, souveraines, qui ont décidé d’assujettir d’autres nations souveraines, puisque le documentaire aborde aussi d’autres réalités européennes de cette Troïka : Portugal surtout, mais aussi Irlande et Chypre (on peut néanmoins regretter que l’Espagne n’ait pas été intégrée, sauf de manière allusive à cette présentation de la Troïka).

 

Ce film ne révèle pourtant pas de choses, de faits que le public qui s’intéresse un tant soit peu à ce sujet ne sache pas dans ses grandes lignes, et notamment sur ses effets, sauf sans doute ce que l’on pourrait qualifier de ‘vol organisé’ lors de la vente des filiales chypriotes en Grèce à une banque grecque (Pyraeus Bank) et l’énorme profit qu’elle en tira (3 milliards d’euros, l’équivalent de 14% du PIB annuel de Chypre en 2013 !).

Ce qu’il révèle par contre, ce sont les visages et les noms de cette Troïka pour certains, et surtout les modes d’action de la Troïka qui n’apparaît jamais véritablement autrement que sous le vocable pratique (et parfois faux) de ‘technocrates’ et de ‘fonctionnaires européens’.

Ce qu’on y voit, surtout, c’est l’affleurement de ce que l’on pourrait dénommer tranquillement sans se voir contredire outre-mesure d’un fascisme en col blanc, dont les caractéristiques seraient les suivantes : un pouvoir auto-construit, en dehors de la loi (communautaire ou nationale), pouvant imposer ses décisions au pouvoir politique démocratiquement élu (y compris d’ailleurs à ceux qui étaient censés ou pensaient pouvoir le réguler), au profit de bénéficiaires cachés, qu’ils soient collectifs ou individuels.

Un fascisme d’un genre nouveau donc, sans nom et en apparence sans chef(s), seuls les exécutants apparaissant, éventuellement, sur l’écran radar des citoyens.

Un fascisme sans parti unique mais avec une idéologie unique, celle de l’ordo-libéralisme, dirigiste néanmoins puisque sa ‘loi’ s’impose à tous et sur tout (totalitaire donc), raciste puisque le racisme social (ou darwinisme social) lui tient lieu d’éthique, réduisant les individus, les nations et la démocratie à de simples ‘mécanismes’ ou rouages lui permettant d’appliquer l’ordre défini, ce nouvel idéal social et politique érigé comme horizon indépassable. Et tout comme le fascisme historique, issu lui aussi de la crise économique engendrée par la crise financière ou la guerre (économique, pour le coup, aujourd’hui).

C’est bien cela que révèle ce documentaire, dans toute sa laideur et sa froide détermination, c’est bien cela auquel se confronte actuellement le gouvernement grec en Europe, pour l’instant, ce qui permet par ailleurs de remettre à sa juste proportion le combat qu’il est en train d’effectuer.

 

Pour autant, on aurait tort, comme pourrait le laisser à penser le documentaire, de se focaliser comme le font les pseudos ‘nationalistes’ d’extrême-droite et même une partie de l’extrême gauche en Europe sur ces ‘technocrates’, européens (mais pas que), cette Europe non ou a-démocratique, car viser des exécutants ne permet pas de dégager une compréhension globale du processus de la Troïka : sauf à ce que ces exécutants aient un niveau de sadisme supérieur à la moyenne, ceux-ci restent des exécutants et les gifler intellectuellement ne peut qu’apporter une satisfaction à bon compte.

De la même manière, il est bon de rappeler comme le fait ce film que ce sont bien des nations souveraines qui ont exécuté ces politiques et créé le ‘monstre’ : viser la responsabilité de la construction européenne dans la Troïka tendrait ainsi à blanchir les lourdes responsabilités des gouvernements nationaux, ce qui ne signifie évidemment pas qu’il ne faille pas, aussi, rechercher les responsabilités et les impérities des institutions communautaires en l’espèce. Mais comme pour tout, c’est bien surtout de hiérarchie de responsabilités dont il s’agit de parler.

 

Ce qui affleure en effet avec ce fascisme en col blanc dans le documentaire, c’est bien dans le même mouvement ‘autre chose’, quelque chose de bien plus structurel et décisionnel que tous ces technocrates et ces gouvernements démocratiquement élus agissant pour et dans la Troïka, à savoir les banques.

Car si la Grèce fut intégrée, in extremis, dans la zone euro, ce fut bien selon le souhait des nations et des gouvernements, et rappelons-le, de la France en particulier. Ce fut en connaissance de cause des difficultés structurelles de ce pays, que les gouvernements occultèrent jusqu’à ce qu’ils ‘découvrent’ la réalité fin 2009 mais que l’Eurostat, sur ordre de l’EcoFin (réelle institution, communautaire, qui doit gérer les problématiques financières en Europe) se chargea de rappeler début 2010, en démontrant, preuves à l’appui dans un rapport que nombre de ses alertes sur les dissimulations statistiques de la réalité grecque avaient été ignorées par ce même EcoFin. Un temps mis en cause, on ne parla plus jamais de ce rapport de l’Eurostat …

Une banque, encore, mais américaine celle-là, qui avait maquillé les comptes publics grecs avec un swap, pour lui permettre d’intégrer l’euro.

Car l’intégration de la Grèce dans la zone euro était surtout une très bonne affaire pour les banques, européennes, notamment avec les jeux olympiques dont le choix porta sur Athènes en 1997. Des banques qui ont prêté massivement à l’Etat grec, en toute connaissance de cause quant à son insolvabilité, à un point tel où certaines banques, comme le Crédit Agricole, avait une exposition de 29,5 milliards d’euros lorsque la crise financière survint et la crise politique et économique en Grèce plus particulièrement [2]. Et alors même que certains institutions, comme le déclare dans le documentaire, l’administrateur brésilien du FMI, savaient que la Grèce n’avait pas un problème de liquidité mais bien de solvabilité, et qu’il faudrait bien passer par un défaut partiel, on décida donc d’attendre [3], afin de permettre aux banques européennes de pouvoir transférer massivement leur exposition vers les institutions publiques, comme la BCE et les futurs outils financiers qui seront créés pour que les États reprennent à leur compte ces créances des banques sur la Grèce.

‘Mieux’, la spéculation financière par le biais des CDS a ‘permis’ d’obtenir un retour sur investissement de ces mêmes banques, qui utilisèrent ces CDS à des fins spéculatives, tout en se garantissant contre le risque de défaut sur les titres de la dette grecque.

Et quand le transfert des risques fut effectué entre les banques et les institutions financières (FMI, BCE) et les gouvernements européens, on réalisa alors le ‘haircut’ (défaut partiel) qui aurait dû être fait, de l’avis même du FMI, dès le départ pour la Grèce et ce qui lui aurait permis très certainement d’avoir une trajectoire différente de celle qui fut prise par la suite.

Une suite qui fut d’ailleurs ‘exécutée’ par la Troïka, au bénéfice de ces mêmes banques ou de ceux-là même qui ont des intérêts dans ces banques (comme le montre l’exemple chypriote de Pyraeus Bank) lors des privatisations, qui ‘immanquablement’ eurent lieu pour ‘solvabiliser’ le budget de l’état grec, au plus grand détriment des classes moyennes et des plus fragiles en Grèce.

Des banques, européennes encore comme HSBC, qui participèrent et facilitèrent l’évasion fiscale des Grecs les plus riches dont se moquait la Troïka, à croire que les recettes fiscales issues de cette évasion ne la concernait pas …

 

Les banques, européennes, donc.

Ce que montre ainsi indirectement le documentaire c’est que ce fascisme en col blanc a bien des chefs (et non un seul), les banques, et un parti unique, celui du secteur financier.

C’est à ce niveau de responsabilité qu’il est donc nécessaire de se hisser quant à la Troïka.

Car c’est à ce niveau de responsabilité que se sont décidées les choses, décidée la création de la Troïka et décidée l’application des politiques austéritaires et meurtrières, en Grèce et ailleurs en Europe.

 

Que faire pour faire face à cet ‘ordre nouveau’ qui s’est instauré progressivement en Europe depuis quelques décennies mais qui a profité de la crise financière pour s’imposer, d’abord en pratiquant la vivisection, puis en établissant les règles nécessaires à sa pérennisation (déficit des budgets publics en Europe maximal de 0,5%) ?

Tout simplement : imposer la loi.

Pas celle qui fut édictée en Europe, comme la ‘loi bancaire’ dite de ‘séparation bancaire’ ne séparant au mieux que 3% du chiffre d’affaire, ou même, plus structurée, comme la loi Dodd-Franck, mais détricotée par les lobbys bancaires américains.

Pas celle non plus qui prévalut à l’après-guerre et lors de la crise financière de 2008, avec des nationalisations de banques : l’État ne fut pas meilleur gérant de l’intérêt général (le Crédit Lyonnais en France) ni même le garant de celui-ci (refus de devenir actionnaire si ce n’est par des actions de référence, création de ‘bad bank’ dont les actifs pourris sont à la charge de la collectivité publique comme avec Dexia, etc.).

Pas celle non plus du Glass Steagall Act, qui permit dans le cadre qui existait alors aux États-Unis de garantir pendant plusieurs décennies la stabilité financière en séparant les activités spéculatives des activités bancaires et en cassant les conglomérats, car le monde d’aujourd’hui, plus globalisé et automatisé, rend illusoire une telle séparation.

Mais bien plutôt celle de l’interdiction des paris sur les fluctuations de prix, paris qui ont plombé des pays comme la Grèce et le Portugal en Europe et qui ont profité largement à ceux-là même qui les avaient inondés de leur crédit à taux d’intérêt faible, comme un dealer prodigue le ferait pour saturer un marché et s’attacher la dépendance de junkies.

Mais bien plutôt celle de la compensation monétaire entre les différents pays d’une même zone monétaire afin de remédier aux effets structurels de la compétitivité exacerbée entre pays membres, évitant ainsi l’accumulation de différentiels, positifs ou négatifs, comme c’est le cas entre l’Allemagne et le reste de l’Europe. Cela permettrait d’ailleurs de contrôler efficacement l’interdiction des paris entre les différents pays.

 

On aurait tort de surévaluer le rapport de force néanmoins, manière ainsi d’anticiper un éventuel débat sur cette application de la loi dans un sens négatif, puisqu’en apparence perdu d’avance.

Pour preuve, il n’y a qu’à demander à la BNP Paribas si l’action du régulateur américain ne s’est pas faite sentir, tordant le bras aussi bien à une des banques (française) les plus puissantes en Europe, mais aussi à la légende urbaine que les banques sont intouchables. Certes, la BNP avait quelque peu ‘abusé’, tant dans les montants que sur ce que l’on pourrait dénommer les intérêts stratégiques du gendarme du monde. Il n’empêche. L’UBS a aussi été visée par la justice française l’année dernière pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et des anciens dirigeants de la banque (suisse) sont poursuivis pénalement, avec une caution jamais vue d’1 milliard d’euros. La banque (anglaise) HSBC est elle aussi poursuivie pour blanchiment de fraude et démarchage illégal. D’autres pourraient suivre.

Le FACTA, dispositif américain obligeant les banques étrangères à déclarer les comptes d’Américains, a fait tâche d’huile et les échanges automatiques de données deviendront la règle.

Les outils juridiques existent donc, la volonté des juges également.

Mais ces actions sont longues à mettre en œuvre et à ce jeu, du voleur et du policier, le voleur à toujours un temps d’avance, puisque le cadre permet toujours de spéculer sans limites véritables, même et toujours sur les matières premières, sans oublier le shadow banking.

Si le rapport de force a ainsi pu être modifié, grâce aux ‘lanceurs d’alerte’ par exemple et à la ténacité de certains juges, il reste que celui-ci est largement en faveur des banques, en l’absence de règles structurelles réellement appliquées.

 

Mais il reste encore un dernier niveau de responsabilité, à la fois le plus basique et le plus élevé : celui qui nous incombe.

En effet, c’est en notre nom que certaines décisions, notamment celles montrées concernant la Grèce, furent prises, afin de ‘sauver le secteur bancaire’, à chaque fois selon les intérêts bien pesés de leur ‘nationalité’ supposée, afin de ‘sauver les petits épargnants’.

Plus prosaïquement, ce fut aussi l’occasion de produire des rendements élevés avec les niveaux de spéculation qui apparurent en Europe sur les titres de dettes, rendements dont une partie fut reversée aux rentiers. Sauver les banques, c’était donc sauver les épargnants, ou plus précisément, sauvegarder les intérêts que le système bancaire ‘se doit’ de verser à ceux qui détiennent un capital : l’argent se doit d’être rémunéré, par le simple fait qu’il est présent ici et maintenant et qu’il doit être dédommagé pour sa temporaire ‘mise à disposition’.

Nous sommes, de fait, les créanciers des banques car c’est avec notre épargne que le système fonctionne : pas d’épargne, pas de capital, pas de casinos, pas de paris financiers, mais pas non plus de Troïka, qui n’est que le ‘fondé de pouvoir’ du secteur bancaire, le bras ‘temporel’ qui agit pour leur bénéfice. C’est pourquoi nous ne dénonçons pas ce système (et la Troïka par conséquent) parce que nous en recevons un ‘petit quelque chose’, un intérêt versé, une part de miettes dans l’amoncellement des richesses qu’en tirent les banques.

 

La véritable question qui se pose est donc de savoir si nous devons continuer à fonctionner ainsi ou si nous devons décider d’abandonner la rémunération que nous pouvons tirer de l’épargne.

Cette question se pose à une partie de la population bien spécifique : pas celle la plus pauvre (les 16% en dessous du seuil de pauvreté en Europe par exemple), qui a déjà du mal à subvenir à ses besoins pour ne pas être très concernée par l’épargne, pas non plus celle appartenant aux 10% et encore moins aux 1% les plus riches, qui ont un intérêt ‘objectif’ à ce que ce système perdure, mais bien à celle dite ‘des classes moyennes’, soit les 75% de la population européenne, celle par ailleurs qui constitue le gros des troupes électorales (mais de moins en moins) lors des différents votes.

À cette question, on peut d’ores et déjà répondre qu’objectivement, ces classes moyennes n’ont pas intérêt à faire perdurer un tel système, parce que les intérêts qu’ils en tirent doivent être déduits des intérêts qu’ils payent lorsqu’ils contractent un crédit, dont le taux d’intérêt reflétera le risque qu’ils font porter à leur contrepartie (bancaire), un risque bien plus élevé que celui que ne feront jamais porter aux banques les 10% les plus riches. Un crédit dont ces classes moyennes auront à un moment ou un autre besoin pour subvenir à leurs besoins immédiats (crédits à la consommation) et importants (crédit immobilier), un crédit qui devient de plus en plus important au fur et à mesure que les revenus se réduisent en termes de pouvoir d’achat et que l’inégale répartition des richesses progresse.

Refuser donc la rémunération de l’épargne pour accéder à un crédit non pas gratuit mais dont le taux d’intérêt sera structurellement faible (les taux d’intérêts actuels sont faibles parce que les banques centrales ont inondé les marchés financiers de leurs liquidités, provoquant d’ailleurs des dysfonctionnements graves à terme) serait de l’intérêt de touts ceux qui n’appartiennent pas aux 10% les plus riches.

La contrepartie d’un tel renoncement est désormais claire pour tous ceux-là : l’acceptation, consciente ou non, de cet ‘ordre nouveau’, qui tôt ou tard les broiera aussi dans ses politiques d’austérité, par le chômage et la raréfaction des aides sociales ou des services publics auxquels ils continuent d’accéder. La Grèce, mais aussi le Portugal, l’Espagne, l’Irlande et l’Italie dans une moindre mesure, en sont des exemples concrets, en attendant d’en voir les effets concrets en France dès cette année.

On ne pourra pas, on ne pourra plus très longtemps continuer cette vie schizophrénique où l’on échappe à la Troïka (et ce quel que soit son visage ou son nom ainsi que sa localisation) tout en bénéficiant des intérêts qu’un tel système veut bien nous octroyer, avec notre argent.

On ne pourra plus non plus exiger, à raison, que la fraude fiscale des plus puissants soit traquée dans ses moindres recoins sans que l’on renonce aussi aux avantages fiscaux que l’État, nous, consentons aux intérêts de l’épargne.

 

Le fascisme avait deux atouts majeurs pour assurer son émergence et sa pérennité : la peur et l’attractivité.

Le système actuel ne renie aucun de ces deux atouts et les applique consciencieusement, notamment en Grèce. La peur, d’abord dans les pays soumis à la Troïka, qui paralyse et disloque les solidarités. Cette peur a aussi une vertu ‘pédagogique’ pour ceux à qui un tel châtiment est exposé car elle les instruit de la puissance exercée. Elle incite ceux qui ne sont pas concernés directement par la Troïka à s’insérer dans ‘l’ordre nouveau’, que l’adhésion soit ou non d’ailleurs effective.

Mais un régime fasciste ne peut pas non plus tenir uniquement sur la peur, même totalitaire. Il lui faut obtenir le consentement, l’adhésion, du moins d’une partie de la population. Cette attractivité sera rendue possible par la garantie à ceux qui possèdent un capital, même faible, que celui-ci ne sera pas réduit comme ce fut le cas à Chypre (bail-in), la garantie aussi que même faible une rémunération de l’épargne sera effective.

Si on parachève en outre l’ensemble par une répartition entre ceux qui échouent et ceux qui réussissent, répartition que l’on essentialise (la Grèce est en faillite parce que les Grecs sont cela, ils sont ceci, par ‘nature’), on permet ainsi d’attribuer une place à chacun dans ce nouvel ordre social. Il n’y a qu’à constater par exemple combien sont valorisés les Allemands dans leur fierté de produire, d’exporter le plus possible, de travailler, propagande se servant du sentiment nationaliste pour mieux différencier les Allemands des Grecs quand bon nombre d’Allemands n’ont rien à leur envier parfois en termes de pauvreté. Et peu importe l’identité des ‘bons’ et des ‘mauvais’ dans cet ordre, l’essentiel étant que l’ordre perdure : hier les Allemands étaient les ‘mauvais’, aujourd’hui ce sont les ‘bons’, demain …

 

La rupture essentielle qui a eu lieu dans cet ‘ordre nouveau’ tient principalement au fait que les Grecs ont fait face à cette peur en élisant Syriza au pouvoir. Ils n’ont certes pas ‘gagné’ dans le combat qu’ils ont récemment mené mais ils ont au moins gagné cette bataille sur la peur.

Il reste surtout aujourd’hui à engager la bataille de l’attractivité, pour montrer toute la nocivité de cet ‘ordre’ masqué par l’opacité, cette opacité qui se lit si bien dans le documentaire sur la Troïka.

 

Pour cela, il y a plusieurs moyens.

Paul Jorion appelle à un Tribunal d’opinion sur la Troïka, non pas tant pour juger en droit les protagonistes mais bien pour juger un système pervers et fasciste : le donner à voir à tous, à commencer aux Allemands et aux Européens, aux classes moyennes, aux épargnants, aux pauvres pour qu’ils sachent qui et quoi les appauvrit et les opprime.

On peut aussi exiger l’interdiction des paris sur les fluctuations des prix et la mise en œuvre d’un système monétaire européen de compensation.

On peut aussi décider de placer son épargne sur des comptes non rémunérés et exiger l’absence de rémunération du crédit à la consommation.

On peut, si on recherche une rémunération qui serait afférente au risque pris, décider d’utiliser les multiples plates-formes de crowdfunding solidaire ou non, en prêtant une partie de son épargne pour des entreprises qui en ont cruellement besoin.

On peut aussi exiger de l’État qu’il intervienne en garantie et en co-financement à parité pour les coopératives financières qui ne rémunéreraient pas l’épargne et pratiqueraient un taux d’intérêt très bas, coopératives qui devront avoir les mêmes capacités que les banques à offrir les différents services dont les sociétaires pourraient avoir besoin.

 

On peut faire et exiger plein de choses.

 

Mais on doit en premier lieu décider si l’on continue ou non à cautionner ce ‘nouvel ordre’, d’essence fasciste, qui s’est imposé grâce à la crise et qui se défendra bec et ongles pour sa survie, comme l’ont montré les événements récents sur la Grèce.

La Troïka est ‘notre’ monstre, à nous de décider qu’en faire.

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[1]           Et aussi, rassurez-vous lecteurs francophones, sous-titrés en français évidemment : c’est une chaîne franco-allemande, qu’on vous dit.

[2]           57 milliards pour les banques françaises, 45 milliards pour les banques allemandes, 11 milliards pour la Grande-Bretagne et 9 milliards pour les Pays-Bas, soit un total de 122 milliards pour ces seuls pays et 142 milliards pour les banques européennes (sources BRI).

[3]           L’autre ‘révélation’ du documentaire est que l’administrateur du FMI précise bien que c’est Dominique Strauss Kahn qui imposa au FMI la modification des règles pour prêter à une Grèce insolvable, en toute connaissance de cause, pour avoir à éviter de restructurer le secteur bancaire français, étant déjà dans la course élyséenne. Cela en dit long sur les rapports entre les politiques et ces mêmes banques et la puissance du pouvoir des secondes sur les premiers.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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