A paru le 15 janvier dans la version imprimée du magazine Trends-Tendances.
Des choses qui ne vont pas de soi
En matière d’économie, je pense telle et telle chose. Et en matière de technique financière, telle et telle autre. D’autres pensent différemment de moi sur ces sujets. Nous ne sommes pas d’accord et je considère qu’ils ont tort. Mais je ne pense pas qu’ils méritent la mort pour autant.
Cette dernière remarque de ma part paraîtra incongrue au lecteur : bien sûr qu’ils ne méritent pas la mort pour être d’un autre avis que le mien !
Mais la chose ne va hélas pas de soi : penserai-je de même s’il s’agissait d’un autre sujet que l’économie ou la finance ? S’il était question de religion par exemple ?
Réfléchissons-y : pour que je pense qu’aucune personne ayant une opinion différente de la mienne ne mérite la mort, quel que soit le sujet abordé, il faut qu’il n’y ait pour moi plus aucun sujet que je considère comme authentiquement « sacré ». Ce qui veut dire que quoi ce soit qu’un autre ou une autre affirme pour me contredire, je n’y verrai pas un « blasphème » de sa part, méritant du coup les pires punitions.
Ceci nous paraît évident aujourd’hui, Dieu merci ! Mais ce ne l’était pas du temps de nos propres guerres de religions, qui déchirèrent les nations européennes il y a quatre cents ans – ce qui ne représente que treize générations à peine.
Pour qu’une économie comme la nôtre puisse fonctionner, il suffit que l’on partage les mêmes définitions de ce que c’est que vendre et acheter, de ce que c’est que prêter et emprunter, autrement dit, que l’on envisage de la même manière les droits et les obligations accompagnant ces opérations. Et l’on peut ignorer du coup entièrement la représentation que se fait notre contrepartie de la transaction qui est en train d’avoir lieu : s’il pense que Dieu y est pour quelque chose, ou les Anges, ou les Ancêtres, nous est parfaitement indifférent.
Il est important de se souvenir que nos guerres de religions ne se sont pas éteintes parce que les religions elles-mêmes auraient disparu, non, c’est uniquement parce que nous n’entendons plus le blasphème dans la bouche des autres, et ceci n’est devenu possible que si pour nous il n’y a plus de sacré méritant la mort si on y touche. Il faut en être conscient. Il faut aussi se rappeler que dans notre propre histoire, c’est seulement l’écœurement devant l’abomination qui nous a conduits là ; ce n’est malheureusement pas la raison.
Les populations se sont toujours déplacées au fil des siècles. À une époque, on a appelé cela « les invasions barbares », et ce sont souvent nos propres ancêtres qui sont alors arrivés à l’endroit que nous appelons depuis « chez nous ». Certaines populations vieillissent, un déséquilibre démographique s’installe, créant un appel d’air pour des travailleurs venus d’ailleurs, appel d’air salutaire pour nous comme pour eux.
Si bien que nous pouvons à nouveau, après quatre cents ans de trêve, nous retrouver – sans pour autant nous être déplacés nous-mêmes – devant des interlocuteurs n’ayant pas sacrifié la notion du « sacré » dans leur périple. Qui ne l’ont pas abandonnée pour assurer la paix civile et du commerce, comme nous l’avons fait dans un processus historique de rejet de l’horreur, et qui sont susceptibles du coup d’entendre éventuellement, sortant de notre bouche, ce qui sonnera à leurs oreilles comme « blasphème ».
Tout ceci, c’est le massacre de Charlie Hebdo bien entendu qui nous le rappelle dans le dégoût. Pour pouvoir vivre ensemble, nous tous, êtres humains qui pensons différemment les uns des autres, il faut que la notion de « blasphème » ait disparu aux oubliettes de notre histoire. Si nous insistons sur le fait qu’il y ait du « sacré, à part la vie elle-même bien sûr, et que ceux qui ne le respectent pas méritent la mort, il faut alors que nous allions vivre à nouveau séparément. Sinon, l’autre mérite la mort à mes yeux et moi à ses yeux à lui, et notre vie ensemble est tout simplement impossible.
Réponse de o1 , et en attendant le réponse de o3 Je comprends que vous soyez curieux de savoir comment…