Billet invité. Ouvert aux commentaires.
C’est le poids, la quantité de mouvement en cours qui rompt l’équilibre, cet équilibre si instable et si difficilement acquis que l’on observe dans ce « no man’s land » politique et économique que nous connaissons actuellement.
« Il faut parler aux Allemands » a pu dire Paul Jorion à la télé. Car si Angela Merkel semble vivre une apogée sans déclin ces derniers temps, avec une réélection massive à la tête de son parti, cela ne peut masquer ce qui pourrait bien être le début d’un chant du cygne dans un de ces moments où tout semble redevenir possible. Car la position politique de la CDU/CSU se fragilise en Allemagne. En premier lieu, ce fut le FPD qui disparut, laissant place à la ‘grande coalition’ avec le SPD des sociaux-démocrates. Et en second lieu, c’est l’émergence d’un nouveau parti, europhobe, l’AfD, qui tend à tailler des croupières tant au SPD qu’à la CDU, sans oublier les manifestations de rues des islamophobes dont tous ne sont pas d’extrême-droite ou de partis nazis. Le vote conservateur de droite a cependant bien davantage à perdre que le vote conservateur de gauche en la matière.
On verra donc dans les résultats des élections locales à venir (celle de Hambourg à la mi-février 2015) ce que les électeurs allemands ont à dire à la chancelière, la forçant sans doute à refaire de la politique en lieu et place de la géo-économie.
Car dans le même instant, on débattra hardiment en France de la loi Macron et ses 12 dimanches comme Hercule et ses travaux. Certes, il se peut même que la loi, y compris avec les dispositions, amendées sur le travail dominical, finisse par être votée grâce aux compromis dont les ressources florentines de l’Elysée et du PS conjuguées ne sont pas avares. Mais on y verra surtout ce que valent les déclarations des unes (Martine Aubry) et des autres (Benoît Hamon) sur la volonté de porter le fer et celle du gouvernement dans sa volonté de passer coûte que coûte, y compris par l’article 49-3 : on saura dans ce cas que le pouvoir exécutif est si fragile qu’il doive en arriver là pour atteindre ses fins.
On aura su quelques semaines auparavant si des élections législatives anticipées auront bien lieu en Grèce, avec l’élection du Président qui commencera pour trois semaines à partir de mercredi prochain jusqu’à la fin du mois de décembre. Dans l’affirmative, nous aurions donc une campagne électorale grecque d’ici à fin février des plus acharnées, car Syriza est sans doute la seule formation politique ‘radicale’ en Europe à pouvoir accéder au pouvoir par les urnes. Et dans ce cas, un inévitable conflit politique émergera entre les champions attitrés que sont Angela Merkel et Alexis Tsipras, portant (mais pas seulement) sur la dette.
Pour autant, ce serait oublier que quelques semaines plus tard, une élection cruciale sera en cours en France, cruciale pour l’exécutif en place, dont on perçoit les signes avant-coureurs d’inquiétudes grandissantes : et si ces élections étaient une fois de plus une catastrophe électorale ? On méconnaît le rôle structurel de cette élection intermédiaire pour le PS, car celle-ci alimente en nombre les cadres locaux du parti, ces élus qui font le parti : ceux des Conseils généraux où le PS détient la présidence dans 49 départements sur 100, sans oublier les divers gauche apparentés et affidés, quand l’UMP n’en compte que 25.
Les départements constituent la base politique qui alimente les sections et les fédérations locales, qui permet la proximité géographique et relationnelle avec les électeurs, ainsi qu’avec les militants. Qu’un échec, un de plus, survienne, et il ne manquera pas de voix pour demander des comptes, le moment venu, voire même la tête du premier secrétaire si nécessaire comme sacrifice. Benoît Hamon, lui, commence déjà à prendre position, ‘au cas où’ …
Il y aura aussi des élections législatives au Royaume-Uni, où l’on mènera la vie dure aux conservateurs, face à des travaillistes pourtant pas si féroces mais surtout face aux europhobes de l’UKIP, qui pourrait faire alors un carton, rendant de plus en plus crédible pour les conservateurs de tous les pays (unissez-vous !) un ‘débordement’ sur leur droite qui viendrait saper les conditions de leur réélection. Un élément de plus dans la réflexion d’une Angela Merkel qui espérait jusqu’il y a peu transformer le pesant ‘tête-à-tête’ franco-germanique en trio, par son extension aux conservateurs anglais.
Le congrès de Poitiers signera donc le point de bascule possible en juin, surtout si les différents éléments précédemment cités participent de la dynamique possible. Un congrès au PS reste néanmoins toujours un moment aléatoire, où tout peut se jouer, y compris l’inverse. Mais un premier ministre très minoritaire et un président désavoué électoralement une nouvelle fois quelques mois auparavant n’auraient alors plus comme option que de sacrifier Cambadelis sur l’autel du compromis et de céder du terrain aux aubrystes/hamonistes/montebourgeois.
Si on ajoute à cela en fin d’année les législatives au Portugal et en Espagne, ainsi que des élections locales en Italie, qui apporteront leur pierre non pas à une reconfiguration radicale comme en Grèce (Podemos risque fort de se voir opposer l’alliance des ‘gagnants’ politiques habituels : PSOE et PP), mais à l’émergence d’une tension supplémentaire dans le rapport de force politique, on aura en 2015 un espace de bascule potentielle comme on a pu le connaître il y a quelques années de cela : en 2008, puis en 2011 avec le referendum avorté de Papandreou.
Mais, pour parler aux Allemands et à Angela Merkel, encore faudrait-il éviter d’adopter la position constante du coq monté sur ergots à ressorts comme le fait Jean-Luc Mélenchon, sur des propos de la Chancelière qui visaient bien plus son auditoire conservateur intérieur que ces incapables de Français (ou Italiens en l’occurrence). Encore faudrait-il aussi que les Aubry/Hamon/Montebourg aient autre chose dans leur havresac quand il faudra bien, par-dessus l’exécutif français, indécrottable autiste, parler aux Allemands et à Angela Merkel, pour soutenir un tant soit peu la faible marge de manœuvre qu’aura Alexis Tsipras face à ses créanciers, a fortiori si on conçoit le rapport de force politique non comme un rapport mais seulement comme de la force.
Il faudra bien savoir ‘profiter’ de cette dynamique qui nous est encore une fois offerte, pour enfin parler à nos voisins de ce qui nous fâche et de ce qui les plombe, et les plombera assurément dans le futur : de la nécessité de faire défaut sur la dette européenne (qu’il faudra bien constituer comme telle à un moment donné), si l’on souhaite demain pouvoir continuer à payer les retraites, de la nécessaire régulation financière et bancaire, contre l’avis de l’exécutif français, afin d’imposer enfin des réglementations dignes de ce nom, ce que les Allemands ont vainement tenté d’imposer au pouvoir politique français (un pouvoir vérolé par le pouvoir des inspecteurs des finances et de leurs futurs/anciens employeurs bancaires), d’une régulation possible de l’euro si l’Allemagne veut pouvoir préserver la monnaie unique (laquelle est à son bénéfice) par l’instauration d’une unité de compensation, d’une stratégie énergétique commune, et ainsi de suite…
Angela Merkel n’est pas plus bête qu’une autre, les autres dirigeants européens non plus (bien qu’un doute profond soit permis sur les dirigeants français) mais ceux qui pourraient en tirer un bénéfice politique encore moins, en attendant plus : Front National, AfD, UKIP, …
La dynamique s’en vient. Et il semblerait bien qu’il s’agisse du dernier arrêt avant le pont de la mort situé un peu plus loin.
Il est urgent que ceux qui sont déjà au pouvoir s’en saisissent et que ceux qui souhaitent y accéder comprennent que les enjeux dépassent de beaucoup le cadre de leur petite personne et de leurs, forcément, futurs petits pouvoirs.
À bon entendeur, salut !
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