Retranscription de Français, si vous pensez qu’il existe toujours une alternative à gauche ! Merci à Olivier Brouwer !
Bonjour, nous sommes le dimanche 2 novembre 2014. Et, comme vous le savez, j’ai rendez-vous avec vous tous les vendredis, pour une petite vidéo qui s’appelle « Le temps qu’il fait ». Et parfois, il m’arrive de me réveiller le matin, ou bien c’est sous la douche, d’avoir une idée supplémentaire, et alors je vous fais une petite vidéo aussi, que j’ai appelée jusqu’ici : « Bonjour Madame la Terre » quand c’est quelque chose de l’ordre, je dirais, un peu environnemental ou écologique, et « Paul Jorion pense tout haut » quand ce sont des idées qui me sont venues comme ça, mais sans que je connaisse nécessairement la conclusion à laquelle ça aboutit.
Mais là, ce matin, je me suis réveillé – et je crois même que c’est ça qui m’a réveillé – avec une idée. Une idée que j’ai envie de vous proposer. Et je vous donne tout de suite son nom, c’est : « Français, si vous pensez qu’il existe toujours une alternative à gauche ! ». Voilà. Et ce qui m’a conduit à vouloir vous parler de ça, c’est la chose suivante. C’est que j’ai publié il y a, c’est quoi, six semaines ou quelque chose comme ça, avec Bruno Colmant, chez Fayard, un livre qui s’appelle : « Penser l’économie autrement ». Et, je fais des conférences en France, en Belgique, euh… je crois que c’est tout pour le moment (j’ai parlé à la radio suisse il y a quelques jours), où on m’invite à l’occasion de la publication de ce livre. Mais alors, ce qui m’a réveillé ce matin, c’est ce sentiment que c’est deux choses différentes.
Qu’on m’invite [en Belgique] avec Bruno Colmant, comme ça a été le cas à la librairie Filigranes, comme ça a été le cas à d’autres endroits, à la radio, pour des articles de journaux, ou bien que ce soit, comme c’était, quoi, il y a deux trois jours, avec Marc Lambrechts qui était à l’origine de la publication, eh bien, on m’interroge ou on nous interroge sur ce qu’il y a dans le livre. On me demande de parler de ma proposition sur un défaut généralisé au sein de la zone euro, on me demande de parler de cette proposition de taxe sur la productivité, taxe dite « Sismondi », on me demande de parler de ce que je redis une fois de plus, c’est-à-dire qu’on pourrait revenir à la situation d’interdiction de la spéculation, comme c’était le cas jusqu’à la fin du 19ème siècle, on me demande de parler du fixing à la Bourse, etc.
Et quand on m’invite en France, on m’invite, et on me demande, comme ça a été le cas à BFM, comme ça a été le cas à France24, c’était quoi, avant-hier, on me demande de parler de l’actualité, et soit au début, soit à la fin, on dit : « Et Paul Jorion a d’ailleurs publié un livre chez Fayard, avec Bruno Colmant, qui s’appelle : « Penser l’économie autrement ». Comme si on signalait que je viens, par ailleurs, de publier un recueil de poèmes, qui est une chose très intéressante, etc., mais qui n’a pas un grand rapport avec la raison pour laquelle on m’a fait venir, ni non plus avec les choses qu’on m’a demandé de dire en répondant à des questions qui étaient des questions sans rapport avec les thèses défendues dans ce livre.
Et alors, c’est ça qui m’a réveillé ce matin : c’est cette anomalie, c’est cette différence. Et alors, je me suis mis à réfléchir, et ça, c’était sous la douche, je ne vous cache rien, à quoi tient cette différence. Et j’ai une hypothèse !
Voilà, j’ai une hypothèse. La Belgique est un pays qui a eu un gouvernement dirigé par un Premier ministre socialiste jusqu’à récemment, jusqu’aux dernières élections législatives. C’était un gouvernement qui faisait une politique, pfouw, disons de centre gauche, pourquoi, parce que, eh bien, on avait dû faire une grande coalition. Il y avait des ministres, là, qui ne représentaient pas tout à fait ce genre de perspectives de gauche, mais enfin, c’était un gouvernement où on défendait encore des idées de gauche, euh, je dirais, avec difficulté, parfois maladroitement, etc.
Et maintenant, a pris le pouvoir, légalement, à la suite d’élections, un gouvernement qui est un gouvernement de droite dure. Je crois que c’est hier matin, officiellement, qu’il a pris la direction de l’État, et dont on nous dit déjà ce qu’il va faire. Et c’est une politique de droite dure. Bon. Alors, il y a une opposition de gauche en Belgique, et, même dans les journaux qui étaient pas de gauche traditionnellement, on défend des opinions, déjà, des vues très opposées à ce qu’on sait que ce gouvernement va faire, parce qu’il a déjà plus ou moins annoncé ce qu’il allait faire. Bon. Et j’ai fait parfois allusion, déjà, à ce qu’il a envie de faire et qui n’est vraiment pas sympathique, comme des coupes sombres dans les budgets de la culture. Il y a des personnages, qui sont ministres maintenant, qui sont des gens qui ont des accointances avec l’extrême droite, [ce] qui ne relève pas du fantasme, mais qui sont des choses bien historiquement écrites dans les journaux, dans les choses qu’ils ont dites à la radio, à la télévision, etc.
Et alors, voilà : vous pouvez lire les positions de ce gouvernement à venir dans la presse, les écouter à la radio ou les voir à la télévision, mais vous pouvez aussi voir ce que dit, déjà, l’opposition de gauche, en disant : « C’est dégoûtant », etc. en proposant des alternatives. Et donc, voilà la situation en Belgique.
En France, on a une situation extrêmement différente. Et je crois que c’est là que réside la différence, pour moi, dans la manière dont on m’interroge sur cet ouvrage publié avec Colmant. C’est qu’en France, on a, en fait, on a une pensée unique. Parce qu’on a un gouvernement qui s’affirme de gauche, et dont les ministres n’arrêtent pas de répéter qu’ils sont de gauche, et qui font une politique qui, finalement, n’est pas très très différente de celle que s’apprête à faire ce gouvernement de droite dure en Belgique. Ce qui fait que la droite traditionnelle, comme par exemple l’UMP en France, peut très bien approuver, et ne s’en cache pas. Il suffit d’entendre ce qui se passe quand des décisions sont prises en France, ou, le plus souvent maintenant, quand des décisions qui avaient été prises sont renversées, il faut entendre la clameur qui monte du syndicat patronal du Medef en disant : « Formidable, extraordinaire ! » On applaudit là avec un très grand enthousiasme. C’est-à-dire que ce gouvernement prend des positions qui sont des positions essentiellement de droite, et reçoit une approbation chaleureuse, non pas de l’extrême droite, bien entendu, parce qu’il y a une confusion qui devient assez totale en France, où parfois des positions d’extrême gauche ne sont plus défendues que par le parti d’extrême droite, qui est le Front National… Enfin si, bon, il y a des tout petits groupes, mais qui sont devenus inaudibles, qui défendent aussi des positions de ce type là à l’extrême gauche, mais c’est essentiellement du côté de l’extrême droite qu’on l’entend. Mais, ceci dit, pour ce qu’il s’agit de faire, eh bien, il y a une unanimité qui va de l’UMP (moi je ne vais pas dire « UMPS » comme j’entends dire parfois), mais enfin, c’est vrai : il y a une politique qui est défendue à la fois par l’UMP et peut-être pas par le Parti Socialiste [dans son ensemble] parce qu’on entend, bon, des choses qui se passent à l’intérieur de ce parti, un désaccord avec les politiques qui sont prises, mais il y a un gouvernement dit socialiste, une majorité socialiste qui prend les mêmes mesures, exactement, que prendrait l’UMP, et qui ne diffèrent pas beaucoup de celles qui pourraient être écrites par Monsieur Gattaz à la tête du Medef.
Et j’ai l’impression que, voilà : j’ai l’impression que c’est ça l’explication. C’est qu’en France, cette idée qu’il n’y a pas d’alternative, elle a pris corps : elle a pris corps essentiellement parce que justement les grands partis qui dans une alternance au pouvoir prenaient des décisions, comme l’UMP et le PS, ont en fait adopté la même politique, qui est la politique du syndicat patronal ou des syndicats patronaux en général. Et du coup, c’est ça, à mon sens, qui explique probablement pourquoi, quand on m’invite dans un programme, parce qu’on m’invite et on me dit qu’il y aura par exemple demain, dans La Quinzaine Littéraire, un compte-rendu extrêmement élogieux du livre qui va paraître. Bon, je vais voir : je vais voir aussi avec curiosité maintenant, quels sont les aspects qui sont couverts de ce livre, ce qu’on en dit. Parce qu’il y a un danger aussi, que je constate : « Ah oui, Jorion, oui, eh bien non : c’est un intellectuel comme les autres, et donc il a une opinion absolument sur tout… » mais aussi avec l’inconvénient que quand je propose des politiques de gouvernement, on prend ça sur le style un peu anecdotique, en disant : « Oui, eh bien, voilà : il pense à propos des grandes questions de la vie et de la mort, aussi : il pense ceci ou cela… ». C’est-à-dire qu’on n’y attache pas beaucoup de sérieux, parce que ça paraît anecdotique. Parce que, en réalité, aux yeux du public, il n’y a plus qu’une seule politique qui puisse exister, c’est celle qui est représentée par l’UMP et par le PS, dans la mesure ou ils feraient, ou ils font des politiques quasiment identiques avec, je dirais, avec parfois, comme vous l’avez vu, quand on dit : « Oui, il y avait cette mesure quand même plus à gauche qui avait été prise par Monsieur Fillon, et il y a cette mesure plus à droite qui est prise par Monsieur Sapin », etc. Donc, c’est avec des variations parfois curieuses, un peu inattendues, mais voilà, il y a une représentation unique.
Alors, c’est pour ça, alors je reviens à mon titre, au titre de mon exposé : « Français, si vous pensez qu’il y a encore une alternative à gauche », qu’il y a encore une manière de faire de la politique qui soit de gauche, eh bien lisez ce livre. Alors moi, je me suis dit, je vais faire un petit peu, comment dire, je vais apporter un peu de l’eau au moulin à ça, je vais extraire… au moment où le livre allait paraître, j’avais extrait trois paragraphes par ci, trois paragraphes par là, pour faire un « teaser » comme on dit maintenant, pour attirer un peu l’attention, pour montrer qu’il y a des choses intéressantes qui sont dites dans le livre, mais je crois que je vais un peu revenir systématiquement sur les choses qui sont dites dans ce livre, des fois qu’il y aurait encore des Français convaincus qu’on peut faire une politique de gauche et qu’il n’y a pas le vide absolu au niveau de la représentation de ce qu’il faudrait faire. Voilà.
Voilà : je vais faire ça. C’est de ça que je voulais parler. Alors, à très bientôt pour quelque chose d’impromptu comme ce matin, ou bien vendredi prochain. Voilà. A bientôt.
Il aurait peut être mieux valu que Marc Bloch soit l’homme de l’année en 1940. Cela n’a pas été le…