Les Envahisseurs et les Zombies, par Jacques Seignan

Billet invité.

La science-fiction compte parmi ses nombreux thèmes celui des envahisseurs dissimulés sous forme humaine. Il y a bien sûr la célèbre série télé américaine « les Envahisseurs » [The Invaders] dans laquelle le héros tragiquement solitaire, David Vincent, mène une lutte à mort contre ces extraterrestres à apparence humaine ; à chaque élimination d’un Envahisseur, la preuve de leur existence, par l’effacement quasi-instantané du corps, éclate aux yeux ébahis des sceptiques alors convaincus. Dans les années 50 et 60, il y eut quelques films de science-fiction qui décrivaient l’invasion d’extraterrestres sous cette forme plus subtile que celle imaginée, en précurseur, par H. G. Wells dans son roman la « Guerre des Mondes ». Pas de soucoupes volantes, ni de rayons désintégrateurs, non, mais des êtres venus d’ailleurs prenant l’apparence des simples citoyens – idée reprise dans la série déjà citée. Un film britannique (1) raconte comment dans un village toutes les femmes tombent enceintes d’enfants d’origine extraterrestre, tous blonds, télépathes, inhumains et surdoués, prêts à la conquête de la Terre. Dans un film plus connu, « l’Invasion des Profanateurs de sépultures » (2), les extraterrestres font pousser dans des cosses géantes la reproduction parfaite de l’humain dont ils prendront la place après l’avoir tué. En fait il serait facile d’y voir un message d’inspiration maccarthiste sur le danger communiste : en apparence, ils nous ressemblent tout à fait mais ils vont prendre notre place s’ils ne sont pas éradiqués. Vus au premier degré, sans cette clé explicative, bien de ces films, dits de série B, sont distrayants et imaginatifs. Pourrait-on continuer à les utiliser comme grille de lecture politique ?

Refaisons le film de ce qui est arrivé au grand parti de la gauche française, refondé par François Mitterrand, devenu un parti de gouvernement, et qui fut un moteur de changements, d’espoirs et d’alternances démocratiques. En effet, malgré ses limites fondamentales, le Parti Socialiste (PS) permit d’échapper au blocage dû à la confrontation du parti gaulliste et du Parti Communiste, offrant ainsi un nouveau champ d’action pour des avancées sociales. Et puis un jour (en mars 1983), la descente aux enfers commença et ensuite s’accéléra, à tombeau ouvert, sans freins : privatisations, reniements, politiques d’austérité, acceptation pleine et entière des dogmes économiques néolibéraux, tout cela sans l’assumer pleinement. Arriva l’apothéose dans cette décrépitude politique ; elle débuta par la chute que fit le sauveur, déjà désigné et pratiquement élu, dans une salle de bain new-yorkaise. Un candidat de substitution parvint à nous gruger grâce au processus dit des « Primaires ». Cette caricature de démocratie directe a été importée, comme la malbouffe, l’abrutissement publicitaire, la créativité financière débridée etc. des États-Unis qui, ne l’oublions pas, sont tout autant ce grand pays d’où nous recevons de magnifiques musiques, livres, inventions, films et rêves… Aux USA, ces élections illusoires permettent aux candidats de l’oligarchie de ramasser le plus de fric (sans limite légale), d’obtenir ainsi un matraquage publicitaire massif dans des médias locaux et ensuite d’amorcer la montée vers la victoire car les électeurs, c’est bien connu, votent « utile ». Ce fut exactement le cas en France. L’électorat de gauche avait envie de tourner la page d’un président insupportable, et puis … le clone en chef du parti qui nous promit de lutter en priorité contre la finance, gagna … La suite est connue et le scénario de plus en plus bizarre…

Quantités d’études et d’analyses politiques, sociologiques, historiques ou autres, sont et seront écrites mais personne ne comprend vraiment ce qui est arrivé au PS et comment un grand parti est au bord de l’implosion – alors qu’il avait tout gagné, à tous les échelons de la République, des mairies à la Présidence. Incompréhensible et absurde. Et c’est là que j’ai eu un éclair ! J’ai compris : le PS a été envahi par des extraterrestres, des Envahisseurs.

L’équipe dirigeante de ce parti – sa nomenklatura – est composé de gens très intelligents, brillants parfois, et tous synthétisés par clonage dans des planètes très lointaines par rapport à nous autres, gens médiocres – les « vrais gens» comme ils disent. Sur ces planètes, – parmi elles : Enarkki (galaxie d’Ahlagrandbank) ou Hinspexion (galaxie de Phynance) –, certains, destinés à l’invasion des partis de gauche, apprennent une version ‘sénestre’ de la « Religion féroce » néolibérale et en deviennent des prêtres obéissants, dogmatiques et arrogants. Cette origine cosmique est bien sûr l’explication de leurs incohérences dans le scénario qu’ils doivent jouer : ils ne comprennent pas les réalités de la vie quotidienne terrienne et font des choses bien étranges et malhabiles. Mais une fois leur basse mission accomplie, les « meilleurs » tireront beaucoup de profits de leur engagement dévoué. Parfois ils osent mettre beaucoup d’œufs – ou les cosses ! – dans un même panier : une fois qu’un Envahisseur issu du groupe occupe un poste-clé, il s’entoure de ses congénères. En France un « panier » d’aliens s’est appelé la promotion Voltaire – qu’en dirait ce grand émancipateur et philosophe des Lumières : cynisme par anticipation ? Et de ce même pays ont essaimé plusieurs des clones parfaits et inhumains, à l’OMC (3), au FMI, à la CE… Quelle belle exportation française de talents ! Dans ces institutions internationales, la ‘French touch’ de « gauche » semble seyante, un peu transgressive probablement. Cette invasion a eu lieu dans toute l’Europe (et dans d’autres mouvements politiques … mais plus ouvertement) et sûrement le Parti Démocrate américain a été envahi un peu avant. En Europe, le grand quartier général de ces Petits Hommes Verdâtres, est maintenant situé à Bruxelles (l’Atomium serait-il un OVNI recyclé ?). Ils se sont répandus partout et aucun pays n’est indemne.

Donnons quelques exemples de succès dans leurs missions suivis de reconversions lucratives : M. Schroeder, recruté par M. Poutine pour le consortium dont Gazprom est premier actionnaire ; M. Strauss-Kahn, patron d’un fond spéculatif au Luxembourg ; M. Blair consultant à prix d’or [une conférence pour 1,24 millions d’euros en trois heures (4)], illustrent ces « trahisons » aux yeux des naïfs de gauche qui avaient cru à leurs convictions socialistes ou sociale-démocrates ; pour des électeurs naïfs de droite, ils sont des parangons de la réussite individuelle et de toutes façons, notons-le, ils ne font rien d’illégal pour s’enrichir. Ces Envahisseurs ‘aliens’ ont conquis la direction de leurs partis en ayant complètement annihilé toute réaction normale immunitaire des cellules de base des partis socialistes, socio-démocrates ou travaillistes. En France, le Parti Socialiste, avec ses innombrables élus, militants et sympathisants, fédérait une foule de gens ayant des valeurs et idéaux de gauche – comme remettre la finance au service de la société, c’est-à-dire, par l’action politique reprendre la main sur le « monde de la finance ». Mais aujourd’hui ils sont tétanisés, sidérés, hébétés par une sorte d’ensorcèlement pratiqué par leurs apparatchiks extraterrestres qui leur susurrent sans cesse aux oreilles : « l’offre … la dette… la baisse des impôts… la compétitivité… »

Le film « La Nuit des Morts-vivants » (5) nous fournit une autre illustration cinématographique concernant la base du parti. Les Morts-vivants (ou zombies) marchent en titubant, décérébrés, et ne pensent qu’à bouffer… des vivants. Les troupes (ou troupeaux ?) des membres et des élus de ce pauvre PS marchent ainsi comme des zombies, inexorablement, vers le précipice électoral et l’écrasement politique : malgré leurs généreux engagements initiaux – en général et pour une majorité d’entre eux –, ils vont tout perdre : élections, postes, mandats – et honneur. Dans un monde parallèle, on pourrait imaginer qu’une majorité de députés socialistes rompe ce maléfice et vote une motion de censure contre leur gouvernement « Aliéné » auquel ils viennent d’accorder leur confiance, certainement sous envoûtement télépathique. On verrait avec joie les zombies se réveiller et reprendre le pouvoir : après les « Hercule contre les vampires » ou « Maciste contre les monstres » (6), ce serait les « Les Zombies contre les Envahisseurs ». Voilà un bon scénario avec ‘happy end’ !

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(1) – The Village of the Damned , W. Rilla, 1960

(2) – Invasion of the Body Snatchers , Don Siegel, 1956

(3) – La faute de Pascal Lamy

(4) – Blair Inc.

(5) – Night of the Living Dead , G. Romero, 1968

(6) – Oui, tous ces titres sont vrais : respectivement des films de M. Bava, 1961 et G. Malatesta, 1962

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