Billet invité, en réponse au billet de Michel Leis. Les deux billets donneront lieu à une discussion vendredi 31 janvier de 20h à 22h sur la page Les débats, cela se trouve ici.
Michel, telle que tu la présentes, la fonction de l’utopie serait montrer « la vallée heureuse », mais précisément pour ne point y arriver. S’arrêter en chemin, pour rejoindre un village bâtard, valide opportunément le monde tel qu’il est avec sa classique hiérarchie des pouvoirs, laquelle serait au fondement même de toute forme de société : que les plus doués s’avancent, ils seront récompensés, ce n’est que juste, puisque « ne pouvant faire que le juste fut fort, l’on fit que le fort fut juste ».
Toutefois, la survie de l’espèce demande que nous abandonnions le vieux mode de satisfaction par la compétition pour trouver le plaisir de coopérer (d’autant plus que cet agaçant côté « bien-pensant et moral » de la coopération s’effacera avec la disparition progressive du travail pénible ; éboueur six heures semaine, payé trente-cinq, à un salaire de dentiste, je signe).
Je défendrai, brièvement, le projet de coopératives communales, l’idée en fut portée par Murray Bookchin et aujourd’hui, Jean Zin.
À la façon de Adelbert Ames, ton texte montre la gratuité, la sortie de la marchandisation et de la propriété comme autant « d’utopies », puisqu’elles constituent les traits communs de théories que la pratique, toute l’histoire le prouve, renvoie au statut d’illusions. Je pense qu’il est utile de déconstruire cette perspective en abandonnant le concept d’utopie pour emprunter à C. Wright Mills son concept d’imagination sociologique. C’est très simple, l’utopie part d’une transcendance et demande une table rase sur laquelle se construire, usuellement, grâce à la providence et d’une petite fortune, il s’agit de partir, au loin, si possible, s’installer sur un terrain vierge (et moins cher). L’imagination sociologique part du jeu de cubes social, y repère les tensions sur le plan de la gratuité, de la marchandisation, de la propriété et des modalités opératoires de la domination d’un groupe sur un autre. Sur cette connaissance, ma foi fort simple, il s’agit d’imaginer un agencement possible entre certains cubes, tel qu’il produise des formes nouvelles de rapport sociaux concrets, tels qu’au niveau de la gratuité et marchandisation, elles induisent le remplacement de la domination compétitive par des relation de réciprocité; nous avons les biscuits pour la route.
Dans le contexte de la disparition du travail, nous observons depuis trente ans l’émergence de postes de travail dont la fonction est de s’occuper du travail de ceux qui n’en ont pas, et cette branche est loin encore d’avoir porté tous ses fruits. Pour filer la métaphore maraîchère urbaine, laquelle est partout à la mode, d’autant plus qu’elle fixe nos angoisses face au désordre climatique et agro-industriel, l’organisation en coopératives communales autogérées s’insère dans la dynamique de récupération, par les désoccupés de leur autonomie alimentaire, mais surtout existentielle, tout comme elle éclairera le long processus de « déshypocritisation » de la propriété paysanne et l’ascendant des nomenklaturas communales sur les gens de peu. Pourquoi les petites gens devraient-ils se battre avec les pouvoirs publics, pour avoir le droit de cultiver des terres que les agriculteurs laissent aux promoteurs en se gardant les bonnes pour eux ?
@konrad, Pascal, Khanard et les amis de PJ ”Mango est là. Rentrons à la maison, vite vite » 😂