L’après Davos : LE SYSTÈME FINANCIER N’EST PAS LA SOLUTION, IL EST LE PROBLÈME, par François Leclerc

Billet invité.

La crise n’est pas finie et ne fait que commencer tout en se poursuivant sous d’autres formes, généralisée et étendue à tous les domaines. Pour combien de temps ? nul ne le sait. Épisode en cours, elle déstabilise les pays émergés en raison des retraits massifs de capitaux résultant du tapering de la Fed (la diminution de ses achats d’actifs). Désormais, ces pays n’offrent plus le spectacle d’une réussite qui alimentait l’espoir de la relance mondiale. BlackRock – le plus important gestionnaire d’actifs, qui pèse plus de 4.000 milliards de dollars (la taille du bilan de la Fed) – prédit au sortir du Forum de Davos la poursuite d’une importante volatilité sur le marché des changes, c’est à dire de fortes turbulences avec lesquelles il va falloir vivre. Alors que les États-Unis renouent avec la croissance économique – mais sans résorber le chômage – l’Inde, l’Indonésie, le Brésil, la Turquie et l’Afrique du Sud connaissent une croissance ralentie et une inflation montante, toutes deux préoccupantes en raison de leurs effets. On n’a pas fini de parler du social à Davos, où le thème des inégalités a surgi sans convaincre sur les moyens proposés pour les combattre. Revient sempiternellement l’éducation, comme si l’accès à celle-ci n’était pas aussi inégal.

La directrice générale du FMI et le président de la BCE se sont contredits à propos du danger déflationniste en Europe. La probabilité en est « faible » a déclaré la première, qui a toutefois souligné que l’inflation était très en dessous de la cible de près de 2% ; le second lui a répliqué qu’il n’y avait selon lui pas de risque, et qu’en tout état de cause « nous sommes prêts à agir au besoin ». Les missions de la BCE s’additionnent, confirmant qu’elle est l’ultime rempart derrière lequel se protéger, ce qui à bien y réfléchir n’est pas si rassurant que cela, car tous les paris ne sont pas gagnants. Face notamment à la fragmentation de la zone euro et la disette du crédit aux PME, que peut-elle faire ?

La relance est prudemment saluée comme étant dans « une phase de consolidation » par Christine Lagarde, c’est à dire à confirmer. Mais à peine un front se calme qu’un autre s’éveille. L’ampleur des problèmes que connait le système financier chinois inquiète particulièrement, l’endettement massif qui a résulté des injections monétaires destinées à maintenir la croissance menaçant de le déstabiliser en raison de défauts d’ampleur. Ce qui est combattu par de nouvelles injections monétaires, non sans nous rappeler ce qui a été fait côté occidental et n’est pas spécialement de bonne augure… Les remèdes à une crise de liquidité, qui n’est qu’un symptôme, ne règlent pas l’insolvabilité, quand les allocations financières sont mal réparties.

Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, a confirmé que de sérieux lièvres restaient à lever du côté financier en déclarant qu’il espérait « de mauvaises nouvelles » de la revue des actifs bancaires de la BCE, signe selon lui que le travail aura été bien fait ! Une étude de l’OCDE vient à son appui, qui liste les banques ayant le plus fort besoin d’un renforcement de leurs fonds propres, plaçant en tête le Crédit Agricole, la Deutsche Bank et Commerzbank, offrant ainsi une vision inhabituelle mais plus crédible du système bancaire européen. Mais on peut douter que dévoiler le pot-aux-roses soit dans les moyens disponibles. On sait déjà que la régulation financière est une opération en trompe-l’œil.

Sous-jacente, l’interrogation majeure porte sur l’évolution de la politique des banques centrales, en raison du rôle toujours plus déterminant qu’elles jouent. Ce qui accrédite l’idée que nous sommes entrés dans l’ère du capitalisme assisté. À quel rythme la Fed va-t-elle pouvoir poursuivre la diminution de ses achats d’actifs afin d’interrompre le gonflement de son bilan ? La Banque du Japon va-t-elle enfin parvenir à faire sortir de la déflation le pays, ou est-elle vouée à aller au-delà de ses objectifs de doublement de la taille de son bilan ? Comment la Banque d’Angleterre va lever le flou désormais entretenu sur ses intentions, en contradiction avec le principe de forward guidance qu’elle affiche et qui suppose la clarté ? La BCE, enfin, peut-elle dévoiler l’état réel du système bancaire européen ou au contraire une nouvelle fois l’escamoter ? Peut-elle espérer contenir le cours déflationniste en se contenant de se déclarer prête à agir contre la déflation, mais sans rien faire, comme elle a procédé pour calmer le marché obligataire ?

Poser ces questions, c’est y apporter une même et seule réponse : on ne sait pas ! ce qui est fâcheux dans un monde financier voué à anticiper. Les politiques non conventionnelles suivies par les banques centrales se sont traduites par des injections monétaires massives qui produisent aujourd’hui leurs effets dévastateurs. Le carry trade n’a eu qu’un temps : les masses de capitaux se déplacent brutalement au gré des anticipations d’opportunités ou de dangers perçus par des investisseurs motivés par la recherche du rendement, sans autre considération.

La diminution des injections monétaires de la Fed va demander beaucoup de doigté de la part de sa nouvelle présidente, Janet Yellen, est-il partout souligné. On n’en est pourtant même pas au dégonflement de son bilan et à l’assèchement des liquidités précédemment distribuées ! Certes, la BCE y procède à sa mesure, en raison des remboursements anticipés de ses prêts à trois ans, mais les analystes sont dans l’attente d’un nouveau programme de prêts à l’échéance de fin d’année de l’actuel. Et ce sont de toute façon la Fed et la Banque du Japon qui impriment leur marque dans le système financier mondialisé.

Rançon de leurs efforts destinés à stabiliser ce dernier, les banques centrales ont contribué à développer le volume des actifs financiers, déjà hypertrophié. Elles ont accentué le problème crucial de l’équilibre de l’ensemble en accroissant un risque sans parade possible : celui de l’enchaînement systémique. Hier, il était faussement attribué à la titrisation la capacité de diluer le risque ; une interrogation de poids émerge aujourd’hui : si la dette souveraine n’est plus sans risque, en dépit de tous les efforts pour la solidifier, par quoi la remplacer pour garantir l’assise du système ? Cette question là est aussi sans réponse, et à terme ce n’est pas la moindre.

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